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Letutoiement est plutôt à situer dans un cadre éthique que le philosophe Martin Buber a partiellement décrit. Dans son ouvrage « Je et Tu » ( 1923), il indique comment le tutoiement situe l’échange au niveau d’une rencontre authentique et égalitaire, sans masque ni parade. Bien entendu, les psychothérapeutes savent par expérience
NICOLAS OPPENCHAIM Observatoire du Samusocial de Paris Laboratoire LVMT Paris Est Sociologie Résumé . L’objectif de cet article est de présenter un exemple de participation active des adolescents à une recherche de sociologie sur leurs mobilités urbaines. Dans le cadre de cette recherche menée dans des établissements scolaires, les adolescents ont ainsi réalisé des questionnaires de sociologie qu’ils ont distribués à d’autres jeunes. Ils ont également pris des photographies et écrit des textes sur leurs mobilités, avant d’être interrogés individuellement sur ce thème par le chercheur. Cette méthode a pour premier avantage de favoriser le consentement éclairé des adolescents en leur faisant comprendre les implications de leur participation à une recherche. Elle permet également de créer une relation de confiance avec les adolescents et de stimuler leur réflexivité afin de les associer à l’élaboration de la recherche. Introduction Est-ce que prendre les adolescents comme objet d’étude suppose l’utilisation de méthodes de recherche différentes de celles utilisées pour les adultes ? Quelles sont les méthodes permettant de concilier rigueur scientifique et préoccupations déontologiques dans l’étude de cette population ? Ces questions ont été beaucoup plus abordées dans la littérature sociologique anglophone que dans celle en langue française Danic et al, 2006. Or, elles se sont révélées centrales dans le cadre de la recherche que j’ai menée sur les mobilités quotidiennes des adolescents de zones urbaines sensibles ZUS. Cette recherche avait pour point de départ l’idée que la mobilité constitue une étape importante de la socialisation des adolescents, car elle est le support du passage du monde familier au domaine public Breviglieri, 2007. Elle permettait ainsi d’enrichir les approches statiques de la ségrégation, en ne résumant pas l’inscription urbaine des adolescents de ZUS à leur localisation résidentielle et en prenant en compte les interactions qu’ils ont avec des citadins d’une autre origine géographique et sociale durant leurs mobilités Oppenchaim, 2009. Lors de cette recherche, j’ai alors été confronté à un certain nombre de difficultés méthodologiques et déontologiques, inextricablement liées comment un enquêteur adulte peut-il accéder aux pratiques de mobilité des adolescents, qui sont un moment privilégié de l’entre-soi adolescent ? Comment recueillir et utiliser pour un travail académique des informations sur ces pratiques en s’assurant que les adolescents comprennent ce qu’implique leur participation à la recherche ? Ces différentes difficultés m’ont conduit à développer une méthodologie inédite dont le but était de favoriser la participation active des adolescents dans la recherche. J’ai ainsi mis en place des projets dans des établissements scolaires, combinant initiation des adolescents à la sociologie, réalisation de textes et de photographies sur leurs mobilités ainsi que des entretiens individuels semi-directifs. Afin de mieux comprendre la démarche méthodologique que j’ai suivie, je procéderai en trois temps. Je développerai tout d’abord les problèmes que soulève l’étude des pratiques de mobilité des adolescents. Puis, je montrerai en quoi la participation active des adolescents dans la recherche permet de résoudre en partie ces problèmes, avant d’exposer comment j’ai concrètement favorisé cette participation. Quels problèmes déontologiques et méthodologiques soulève l’étude des pratiques de mobilité des adolescents ? La première difficulté méthodologique spécifique à laquelle est confronté un chercheur adulte travaillant sur les adolescents est de mener une recherche malgré la distance générationnelle qui existe entre lui et les enquêtés. En effet, les adolescents se situent dans une période de remise en cause du contrôle des adultes sur leurs pratiques et d’affranchissement vis-à-vis de la tutelle des institutions en charge de leur encadrement Zaffran, 2010. Paradoxalement, la mise en relation du chercheur avec les enquêtés passe néanmoins majoritairement par ces institutions école, centres sociaux, associations d’aide aux devoirs…, car les adolescents y passent une grande partie de leurs temps et que la présence d’adultes y est tolérée. Ce passage par les institutions ne concerne pas seulement les chercheurs s’intéressant aux pratiques des adolescents dans ces lieux, mais également ceux qui travaillent sur les pratiques se déroulant en dehors des cadres institutionnels. En effet, ces pratiques, comme les mobilités, constituent des moments privilégiés de l’entre-soi adolescent. Cela rend alors difficile la présence prolongée d’un enquêteur adulte auprès des adolescents lorsqu’ils réalisent ces activités. Le chercheur peut certes prendre comme terrain d’observation les lieux non institutionnels dans lesquels les adolescents se rendent durant leur temps libre, comme les centres commerciaux Kokoreff, 1998. Néanmoins, les entretiens avec les adolescents constituent la source d’accès à ces pratiques la plus souvent utilisée. L’étude des pratiques extra-institutionnelles des adolescents est alors marquée par ce paradoxe les institutions constituent une voie d’entrée privilégiée, voire unique, pour le chercheur, alors même que les adolescents souhaitent s’émanciper de la tutelle de ces institutions et éprouvent, pour certains, une relative méfiance à leur égard. Cette médiation par les institutions doit alors impérativement être intégrée à l’analyse des résultats obtenus. Elle n’est en effet pas sans influence sur la relation d’enquête entre des adolescents et un enquêteur adulte, plus ou moins assimilé à l’institution par laquelle il est entré en contact avec eux. L’enquêteur ne peut alors totalement s’émanciper des relations asymétriques, notamment en terme de pouvoir et d’autorité, qui structurent la relation de l’adolescent à cette institution. De même, cette médiation influence le profil des adolescents auxquels l’enquêteur accède. L’institution par laquelle le chercheur entre en relation avec les adolescents peut ainsi être en charge d’un public spécifique. Le choix des adolescents retenus pour l’enquête peut être également fortement orienté par les personnels institutionnels assurant l’interface avec le chercheur Sime, 2008. Le passage par des institutions pour accéder aux adolescents enquêtés pose donc un certain nombre de problèmes méthodologiques. Mais il soulève également des considérations éthiques, notamment en ce qui concerne le consentement éclairé à participer à la recherche. Par exemple, lorsque la mise en contact du chercheur avec les adolescents se fait par l’intermédiaire de l’institution scolaire, il peut exister une confusion aux yeux des adolescents entre la recherche proprement dite et les activités scolaires habituelles. La participation à la recherche pouvant alors être perçue comme obligatoire, l’adolescent risque de ne pas oser refuser la proposition. Ce problème du consentement éclairé ne concerne pas que les enquêtés mineurs Vassy et Keller, 2008, mais il se pose de manière spécifique pour les adolescents pour trois raisons Morrow, 2008. Ils bénéficient tout d’abord d’un statut juridique particulier, rendant nécessaire au niveau légal l’obtention d’une signature de leurs tuteurs adultes. Le simple accord des enquêtés mineurs n’est ainsi pas nécessairement suffisant pour couvrir le chercheur au niveau légal. D’autre part, les adolescents forment un groupe social plus vulnérable que les adultes. Au niveau individuel, ils peuvent se voir imposés lors de leurs interactions avec le chercheur les schémas d’interprétation de celui-ci, par manque d’habitude de ces situations. Au niveau collectif, ils ne possèdent pas de représentants dans la communauté adulte leur permettant de discuter les résultats tirés à leur égard ou de s’assurer que leur parole n’a pas été travestie ou retranscrite partiellement. Enfin, le consentement des adolescents à participer à la recherche peut être influencé par différents biais, comme par exemple la confusion évoquée précédemment entre activités obligatoires et activités de recherche lorsque celle-ci a lieu dans un cadre institutionnel. La vulnérabilité potentielle des adolescents nécessite donc des précautions déontologiques, afin de s’assurer que les enquêtés comprennent les implications de leur participation à une recherche sociologique. Elle ne doit cependant pas conduire à ne pas investiguer cette population. Les considérations exposées précédemment sont ainsi assez analogues aux réflexions qui ont pu être menées dans le cadre d’enquêtes avec des groupes sociaux adultes vulnérables, comme les sans-domicile Firdion et al, 1995. Les trois grandes justifications avancées lors de la mise en place du programme de recherche de l’INED sur cette population peuvent ainsi être transposées au cas des adolescents. Au niveau scientifique, ne pas mener d’enquête auprès d’adolescents reviendrait à se contenter du regard porté par les adultes sur leurs pratiques. Le chercheur n’accéderait pas à leur point de vue, mais à celui des institutions qui en sont en charge. Au niveau démocratique, ne pas enquêter sur les adolescents reviendrait à ne pas leur donner de statut de personne, à supposer une discontinuité entre leur monde et celui des adultes et donc à les exclure symboliquement de la société. Enfin, au niveau humain, les adolescents ne doivent pas être considérés uniquement sous l’angle de leur vulnérabilité. Ils peuvent ainsi avoir conscience de la forme de don/contre don impliqué par une situation d’enquête Skelton, 2008. De même, ils peuvent avoir du plaisir à livrer leur point de vue à un adulte et à réfléchir sur leurs pratiques. Au final, le positionnement éthique du chercheur est fortement influencé par le regard général qu’il porte sur l’enfance et l’adolescence Morrow, ibid. Si l’adolescent est considéré uniquement sous l’angle de sa vulnérabilité, il n’est pas perçu comme compétent pour déterminer l’influence, positive ou négative, qu’aura pour lui la participation à une recherche. Au niveau déontologique, l’important pour le chercheur est alors d’obtenir une autorisation d’enquêter de la part des parents ou des institutions en charge de ces adolescents. D’autres chercheurs postulent au contraire que les mineurs possèdent les compétences pour comprendre les tenants et aboutissants d’une recherche et peuvent donc accepter ou refuser d’eux-mêmes leur participation Masson, 2004 ; Skelton, ibid. Si le chercheur doit s’assurer au maximum qu’ils comprennent les conséquences de cette participation à court, moyen et long terme, le consentement des adolescents prime sur celui de leurs parents ou des institutions qui en ont la charge. Le chercheur ne peut donc se contenter de l’autorisation écrite des parents ou des personnels institutionnels. Au contraire, il doit faire primer le droit des enfants à s’exprimer plutôt que sa propre protection juridique vis-à-vis d’autres adultes. Par exemple, lorsque les adolescents sont en mesure de comprendre l’impact de l’enquête sur leur vie, il est parfois plus éthique d’agir en fonction du souhait de l’adolescent de donner son point de vue plutôt que de solliciter l’accord de parents qui pourraient s’y opposer Where the child consents to participate the parent’s consent is not required … where children can understand enough to distinguish research from other interventions and to understand the impact on them on participating, it may be more ethical to act on their consent than to require the fully informed consent of a parent. Such an approach gives children the maximum opportunity to have their views and experiences recorded and avoid the risk of exclusion of children whose parents would not respond to a request or would wish to control whom their child speaks to » Masson, ibid. Cette position est en adéquation avec la Convention de 1989 de l’Organisation des Nations Unies sur les droits de l’enfant, dont les articles 12 et 13 mettent en avant non seulement le droit de regard des enfants sur ce qui les concerne, mais également celui d’exprimer leur point de vue s’ils le désirent Bell, 2008. Cette position commence peu à peu à se diffuser dans le champ des études françaises Danic et al, 2006. Elle est beaucoup plus répandue parmi les recherches anglo-saxonnes sur les pratiques sociales des adolescents, notamment celles qui sont publiées dans la revue Children’s Geography et/ou celles qui s’inspirent de la Participatory Action Research » Hart, 1992. Dans cette méthode participative, les enquêtés participent activement au processus de recherche, ils identifient avec le chercheur les problèmes de leur communauté, ils choisissent les outils permettant de mieux comprendre ces problèmes et ils trouvent ensemble des solutions pour changer leur situation. Nous avons donc vu que prendre les adolescents comme objet de recherche posait un certain nombre de problèmes méthodologiques comment accéder aux pratiques qui se déroulent en dehors des cadres institutionnels et déontologiques comment faire comprendre aux adolescents ce que signifie de participer à une recherche, afin qu’ils puissent consentir, ou non, à y participer. Nous allons maintenant voir que la participation active des adolescents à la recherche permet de résoudre en partie ces différents problèmes. Quels sont les intérêts d’une participation active des adolescents à la recherche ? Les ouvrages ou revues de langue anglaise cités précédemment contiennent de nombreuses pistes permettant de favoriser le consentement éclairé des adolescents. La principale innovation méthodologique proposée est alors d’encourager la participation active des adolescents enquêtés dans la recherche. Cette participation est plus ou moins importante selon les recherches Hart, ibid. Dans sa forme la plus simple, elle passe par exemple par la prise de photographies, la réalisation de cartes mentales ou la rédaction de textes par les enquêtés. La participation est plus importante lorsqu’un chercheur définit un thème général de recherche avant de commencer son enquête, mais qu’il implique ensuite les adolescents dans la construction des questions de recherche Fine et al, 2003, qu’ils les laissent juges du choix de la méthode la plus adéquate à l’expression de leur point de vue Skelton, ibid ou qu’il les forme au recueil de données auprès d’autres jeunes Alderson, 1995. Plus largement, des adolescents peuvent également participer à la définition des objectifs de la recherche en cours et faire partie de son comité de pilotage Hart, ibid alors que certains chercheurs défendent même l’idée d’une participation d’adolescents aux comités d’éthique des universités à chaque évaluation de projet incluant des enquêtés mineurs Sime, ibid. Cette participation active des adolescents comporte de nombreux avantages éthiques et scientifiques. La prise de photographies permet ainsi par exemple tout d’abord d’obtenir des informations sur des pratiques et des lieux non accessibles à un enquêteur adulte. Elle offre également l’avantage d’intégrer à la recherche des adolescents éprouvant des difficultés de verbalisation. Cette participation comporte aussi un aspect ludique, permettant d’entraîner l’adhésion d’adolescents ne souhaitant initialement pas se prêter au jeu de l’entretien ou de l’observation. Mais elle offre également d’autres avantages, notamment celui d’infléchir les problématiques de recherche du sociologue tout au long de l’enquête en y intégrant les capacités réflexives des adolescents Sime, ibid. Les adolescents ne sont en effet pas des idiots culturels », sans aucun regard réflexif sur leurs pratiques Garfinkel, 1967. Cette participation active favorise également la compréhension des adolescents sur les enjeux éthiques d’une enquête sociologique, et éclaire en conséquence leur consentement à participer à la recherche. Dans le champ français, ces méthodes de participation active des adolescents à la recherche ont été, à ma connaissance, mises en œuvre dans peu de travaux Dubet et Martucelli, 1996 ; Lepoutre, 2005. Ces travaux mettent en évidence d’autres avantages de cette participation que ceux énoncés précédemment. Ils montrent tout d’abord comment il est possible d’articuler objectifs pédagogiques et production de connaissances scientifiques dans le cadre de projets menés dans des établissements scolaires Lepoutre, ibid. La recherche ne conduit alors pas seulement à la reconnaissance du travail du chercheur par ses pairs, mais donne également naissance à un objet tangible un livre, une exposition… auquel les adolescents sont fiers d’avoir collaboré. Cela libère quelque part le chercheur de l’examen de conscience sur l’utilité de sa recherche pour les adolescents ayant accepté d’y participer. Ces travaux montrent également qu’il est nécessaire de laisser une place dans la recherche à la réflexivité des adolescents sur leurs pratiques. Le chercheur peut ainsi leur soumettre les interprétations qu’il a tirées à leur égard, afin d’en améliorer la pertinence Dubet et Martucelli, ibid. La participation des adolescents à la recherche favorise ainsi, entre autres, leur consentement éclairé, elle permet l’accès à des pratiques peu accessibles à un enquêteur adulte, elle peut entraîner l’adhésion de jeunes ne souhaitant pas initialement répondre à des questions, elle évite de recueillir des discours trop formatés par les propos que les adolescents ont l’habitude de tenir aux adultes… Une dernière considération générale explique l’intérêt que j’ai porté à ces méthodes. Elles sont en adéquation avec ma perspective théorique sur la mobilité des adolescents de ZUS. Dans leurs déplacements, ces adolescents sont confrontés à des situations problématiques, notamment dans leurs interactions avec des citadins dont ils ne sont pas familiers. Ces épreuves, même les plus minimes, peuvent alors conduire à un retour réflexif de l’adolescent sur ses habitudes d’action et à leur modification. Le retour des adolescents durant des entretiens sur les épreuves qu’ils ont rencontrées dans leur mobilité n’est alors possible que s’ils adoptent sur leurs pratiques un regard réflexif, ce qui est un des intérêts de leur implication active dans la recherche. Pour conclure cette partie, soulignons que l’ensemble des considérations déontologiques soulevées jusqu’à présent ne sont pas totalement spécifiques aux adolescents. Tout chercheur qui étudie dans la durée un monde social est confronté à un moment ou un autre à ces considérations, notamment lorsqu’il travaille sur un monde social dominé Lepoutre, ibid. N’est-il pas en train de trahir la confiance des enquêtés ? Ne profite-il pas de leur confiance à des seuls fins de promotion académique, alors que le sort des enquêtés ne sera pas modifié par cette recherche ? Les enquêtés ont-ils conscience qu’une partie de leurs pratiques, même anonymisées, risquent d’être portées sur la place publique ? Comment déterminer les pratiques qu’il convient de révéler ou au contraire de laisser dans l’ombre pour ne pas nuire aux enquêtés ? Là aussi, la compréhension par les enquêtés de l’implication de leur participation à la recherche est essentielle et elle ne peut pas se limiter à la signature d’un formulaire de consentement à participer. Les méthodes visant à favoriser la participation active des enquêtés afin de résoudre, en partie, ces problèmes déontologiques n’ont d’ailleurs pas seulement été mises en œuvre avec des mineurs. Citons par exemple, dans une perspective théorique proche de la mienne sur la mobilité, le projet qu’I. Joseph menait sur la ligne de métro 2 à Paris. Celui-ci souhaitait substituer à l’observation participante traditionnelle une ethnographie participative » avec des itinéraires commentés d’usagers du métro, des auto-confrontations entre citadins ayant des conflits d’usage ainsi que des forums hybrides composés de gestionnaires et d’usagers Tonnelat, Jolé et Kornblum, 2007. Des projets autour de la mobilité menés dans huit établissements scolaires Avant de présenter plus en détail les projets que j’ai menés dans des établissements scolaires, il convient de rappeler qu’ils ont suivi chronologiquement une ethnographie d’un an avec de jeunes garçons 13-18 ans fréquentant la maison de quartier d’une ZUS de grande couronne. J’y ai été confronté aux difficultés habituelles rencontrées par un ethnographe dans son travail de terrain avec des populations défavorisées. Il m’a fallu ainsi, classiquement, faire avec la distance sociale qui me séparait des jeunes afin d’acquérir un savoir être avec » les adolescents. Cette distance sociale était également redoublée par une distance générationnelle avec les adolescents, qui ne me percevaient ni comme un animateur, ni comme un chercheur, mais me situaient quelque part entre ces deux professions. La présence quotidienne parmi ces jeunes, dans le quartier et dans les trains, l’accompagnement de sorties, la réalisation de vingt entretiens ethnographiques m’ont alors permis de recueillir un riche matériau d’information sur les pratiques de mobilité des adolescents du quartier. Elle m’a aidé d’une part à mieux comprendre les interdépendances entre ancrage résidentiel et pratiques de mobilité des adolescents, mais également qu’une des principales épreuves que ces derniers affrontaient dans leurs mobilités était la confrontation aux autres citadins en raison du triple stigmate sociale, ethnique et générationnelle dont ils se sentent porteurs Oppenchaim, 2011. Je ressentais cependant une insatisfaction éthique durant cette ethnographie. En effet, si la plupart des jeunes acceptaient de me faire partager en partie leur quotidien et de répondre à mes questions, cela était le plus souvent beaucoup plus dû à une sympathie à mon égard qu’à une réelle compréhension des enjeux et intérêt de mon travail de recherche. Très peu d’adolescents comprenaient l’intérêt de se pencher sur leurs pratiques de mobilité, la plupart y voyant malgré leur sympathie une manière détournée des institutions de contrôler leurs moments de liberté hors du cadre des différentes institutions dans lesquelles ils sont insérés école, travail social, police….. Cette absence de compréhension me questionnait alors sur le sens de la démarche sociologique, notamment savoir pour qui on écrit et dans quel but ? » Lepoutre, ibid. Cette question se pose généralement au moment de la restitution de la recherche et du recueil de gains symboliques de la part de l’enquêteur. Elle ne cessait cependant de me tarauder au moment de l’enquête, ayant l’impression de recevoir des histoires de vie singulière de la part de ces jeunes, sans rien leur apporter en retour. C’est alors cette insatisfaction qui a nourri mon intérêt pour les méthodes favorisant l’implication active des adolescents dans la recherche. Ces méthodes me semblaient d’autant plus intéressantes que certains adolescents de la maison de quartier développaient une vraie réflexion sur leurs pratiques de mobilité. Un d’entre eux m’expliqua ainsi un jour qu’il avait plus tendance à fréquenter Châtelet que les Champs Elysées, car malgré la présence massive de policiers il y était beaucoup moins contrôlé. Interrogé sur les raisons de ces contrôles plus nombreux aux Champs-Elysées, il les expliqua par la présence plus importante de touristes, définissant au contraire Châtelet comme un lieu de passage où la présence des jeunes était plus tolérée. Or malgré tous mes efforts, il m’a été impossible dans le cadre de mon ethnographie de mettre en œuvre ces méthodes. Cela était sans doute dû à la spécificité de mon terrain d’étude, une maison de quartier considérée par les jeunes essentiellement comme un lieu de loisirs et de retrouvailles à l’écart des regards des personnes plus âgés du quartier. J’ai ainsi proposé à certains jeunes avec lesquels j’avais déjà réalisé un entretien classique de prendre des photographies durant leurs déplacements puis de les commenter. La plupart me déclaraient cependant avoir la flemme » et que cela leur rappelait trop le cadre scolaire. Cette difficulté à mettre en œuvre ces méthodes était également renforcée par le turn-over des jeunes fréquentant la maison de quartier, qui pour certains ne venaient que pour une heure ou de manière espacée dans le temps. J’ai alors complété cette ethnographie par des projets menés dans huit établissements scolaires quatre classes de troisième, deux secondes professionnelles BEP vente et deux secondes générales. Ces projets articulaient trois dimensions d’une part, une initiation des élèves à la sociologie, sous la forme de la réalisation et de la passation d’un questionnaire à d’autres adolescents ; d’autre part la réalisation de textes et de photographies autour de leur mobilité ; enfin quatre-vingt quinze entretiens semi-directifs d’une heure, réalisés après l’initiation à la sociologie et donnant lieu dans la majorité des cas à une restitution collective de mon enquête devant l’ensemble des élèves. Mener une recherche dans des établissements scolaires suppose tout d’abord de nouer une relation de confiance à la fois avec les élèves et avec les professeurs. La construction de cette relation dans le cadre scolaire ne va pas de soi, car un nombre important des adolescents de ZUS entretient un rapport conflictuel avec l’institution scolaire. Le principal biais que je devais éviter était d’être considéré par les élèves comme un professeur, ou du moins d’être assimilé à l’institution scolaire. Chaque prise de contact avec les élèves comprenait ainsi une présentation de la sociologie et de ma démarche de recherche, en précisant bien que je n’appartenais pas institutionnellement à l’établissement. J’ai alors cherché à casser le cadre scolaire de différentes manières en évacuant l’attente de la note c’était à chaque fois une des premières questions qui étaient posées par les élèves ou par la possibilité de tutoiement et d’appellation par le prénom de manière réciproque. Le fait d’être un jeune chercheur ne partageant pas totalement les codes vestimentaires et de langage des professeurs a sans doute également participé à casser ce cadre scolaire tu n’as pas la voix clean comme un prof » me confia ainsi un jour un jeune lors d’un entretien. La familiarisation antérieure avec les codes, notamment de langage, des adolescents de ZUS lors de mon ethnographie m’a aussi sans doute aidé à ne pas être perçu comme appartenant à l’institution scolaire. Casser ce cadre scolaire avait pour principal but de renforcer l’idée d’égalité dans la construction de la recherche, les élèves m’apportant autant que je pouvais leur apporter, en particulier un projet allant à l’encontre de la routine scolaire. J’étais ainsi sans doute pour les élèves un objet aussi étrange que j’avais pu l’être pour les adolescents de la maison de quartier un intervenant extérieur qui n’est pas un professeur et n’en partage pas totalement les codes. Je ne dis pas que les élèves ne peuvent se confier aux professeurs, mais ne pas être identifié à une figure d’autorité m’a semblé faciliter l’implication des élèves. Il convient néanmoins de ne pas être naïf comme nous le verrons ultérieurement, l’implication plus ou moins importante de certains élèves dans le processus de recherche, notamment dans l’élaboration de questionnaires, a pu être motivée en partie par la pression de leurs professeurs. Cette mise entre parenthèses temporaire du cadre scolaire lors de mes interventions était tolérée par les professeurs d’Histoire-géographie, de Français, de Vente ou d’Arts Plastiques qui avaient accepté de travailler avec moi. Ces derniers devaient combiner les intérêts de recherche du sociologue, l’adhésion des élèves, ainsi que leurs propres objectifs pédagogiques. Il s’agissait généralement, même si cela est difficilement quantifiable, de professeurs dynamiques, atypiques pour certains, mais qui partageaient un bon relationnel avec les élèves. Au final, sans être totalement assimilé par les adolescents à l’institution scolaire, j’ai donc pu bénéficier des avantages que peut apporter un cadre scolaire par rapport à celui de la maison de quartier, notamment pouvoir mener des projets dans la durée en y impliquant activement les adolescents. Rappelons néanmoins qu’il existe des degrés dans la participation des adolescents dans la recherche. Celle-ci peut aller de l’information des enquêtés sur les objectifs et les conséquences de l’enquête au choix par les adolescents du sujet à investiguer Hart, ibid. Or, les élèves n’ont pas participé directement au choix du thème général de ma recherche ou à celui des outils, même s’ils disposaient d’une grande marge dans les modalités concrètes d’utilisation de ces outils thèmes à investiguer dans le questionnaire, liberté dans la forme d’écriture des textes, rendu des résultats sous la forme d’une exposition ou d’un blog. Sur l’échelle de participation des enfants à la recherche élaborée par R. Hart 1992 8, je me situe donc au sixième échelon sur huit le chercheur décide du thème général, mais discute avec les enfants des meilleurs moyens de la mener. L’imposition d’un thème général et la réalisation d’entretiens classiques à la fin des projets m’a cependant sans doute permis de ne pas être perçu par certains adolescents comme un simple animateur, ce qui a pu renforcer leur sérieux et leur implication dans les projets. La première dimension de ces projets a été la réalisation de questionnaires par les élèves sur des thématiques propres à l’adolescence qu’ils avaient auparavant choisies les relations amoureuses et amicales entre adolescents, le rapport des adolescents à leur quartier et à la ville en général, les adolescents et l’organisation de leur temps. Les élèves ont ensuite distribué ces questionnaires à d’autres adolescents avant qu’une restitution des résultats ne leur soit faite en classe entière. Cette initiation à la sociologie a présentée plusieurs avantages. D’une part, elle a permis de faire comprendre aux élèves les enjeux déontologiques et scientifiques d’une enquête. Ces derniers ont ainsi dû expliquer à d’autres adolescents, qu’ils n’avaient parfois jamais vus, que des réponses personnelles, par exemple sur leur sexualité, étaient anonymes et donneraient lieu à une restitution en classe, sans que leur nom soit révélé. Ils ont également dû faire comprendre à ces adolescents en quoi leurs réponses présentaient un intérêt de recherche. Les élèves ont ainsi pu saisir en pratique ce qu’impliquait de se prêter à une enquête sociologique. Cette initiation offrait également des avantages sur le plan scientifique. Si les thèmes des questionnaires étaient divers, ils posaient en filigrane des questions propres à ma recherche, en particulier les disparités entre filles et garçons sur les horaires de sortie. La restitution des résultats des questionnaires en classe entière a ainsi donné lieu à des discussions très fournies et a obligé les élèves à réfléchir et à argumenter sur certaines spécificités de leurs pratiques. Elle a également permis de libérer la parole de certains jeunes et de préparer ainsi les entretiens individuels qui ont suivi. Le côté ludique de la réalisation et de la passation des questionnaires a également pu contribuer à créer une relation de confiance avec les adolescents et à favoriser leur participation ultérieure à ces entretiens. Enfin, dans certains projets il a été décidé que les élèves ne distribueraient pas seulement le questionnaire aux adolescents de leur quartier mais également de manière collective à la sortie de grands lycées du centre de Paris. Cela avait pour premier avantage de faire réfléchir les élèves sur les disparités entre adolescents banlieusards et parisiens. Plus largement, cela donnait l’occasion à certains élèves qui ne s’y étaient jamais rendus, de fréquenter les quartiers centraux de Paris. Ils étaient ainsi confrontés, lors de la distribution en tête à tête des questionnaires, à l’altérité d’adolescents d’un autre milieu social. Une partie des élèves se rendaient ainsi initialement à contrecœur à Paris, ayant peur que personne n’accepte de répondre à leurs questions. S’ils avaient au début faiblement confiance en eux, ils se sont rendus peu à peu compte qu’ils pouvaient réussir à obtenir l’attention des adolescents parisiens, le statut d’enquêteur permettant par ailleurs de suspendre le temps d’une interaction le stigmate social dont une partie se sentait porteuse. Lien de cause à effet ou non, ces élèves ont été ensuite beaucoup plus nombreux que la moyenne à effectuer leur stage professionnalisant dans Paris intra-muros. Le but premier de la recherche était la production de connaissance, et non de faire évoluer, même à la marge, les compétences de mobilité des élèves. Néanmoins, cette distribution du questionnaire dans Paris, ainsi que l’enthousiasme d’une majorité des élèves pour les projets, offrait également l’avantage d’apaiser mes interrogations sur l’utilité immédiate de ma recherche. Parallèlement ou après cette initiation à la sociologie, les élèves menaient également des travaux d’écriture et photographique sur le thème de la ville et des mobilités. Ces travaux permettaient de préparer les entretiens ultérieurs en donnant un côté ludique à la recherche, en renforçant ou en créant une relation de confiance avec les adolescents et en favorisant le retour réflexif sur leurs pratiques. Ils donnaient également des informations directes sur les pratiques de mobilité de ces adolescents. La prise de photographies des élèves sur leurs mobilités a été faite selon deux grandes modalités, en raison de différentes contraintes financières. Lorsque j’ai réussi à obtenir des financements, du Conseil Départemental de Seine Saint Denis ou des classes APAC du rectorat, les élèves étaient accompagnés par un photographe professionnel durant une après-midi. En l’absence de financement, les élèves prenaient eux-mêmes des photographies sur leur quartier ou les lieux fréquentés durant leur mobilité, à l’aide d’appareils jetables distribués ou le plus souvent avec leur propre appareil ou téléphone portable. Ces photographies permettaient d’intégrer de manière ludique des adolescents pouvant avoir des difficultés ou une réticence initiales à verbaliser leurs pratiques. La présence du photographe professionnel présentait l’avantage supplémentaire de permettre une initiation à la photographie, ainsi qu’une familiarisation à certains lieux qu’ils ne connaissaient pas, les déplacements se faisant le plus souvent par groupe de trois. Au niveau scientifique, ces déplacements ont permis un retour réflexif des jeunes sur les lieux qu’ils fréquentent, ces derniers explicitant durant le trajet pourquoi ils choisissaient ce lieu, ce qu’il leur évoquait, pourquoi ils insistaient sur tel aspect dans leur prise de vue, etc. Ils me permettaient également de renforcer la relation de confiance avec les jeunes et de pouvoir ensuite faire un retour approfondi sur les lieux photographiés durant l’entretien individuel. Figure 1 Photographie et texte d’un élève de troisième générale avril 2009 Ces prises de photographies ont été complétées par un travail d’écriture des élèves, soit directement à partir des clichés, soit en s’appuyant sur des descriptions urbaines d’écrivains. Je craignais que cette dimension du projet soit perçue comme trop scolaire, mais elle a recueilli l’adhésion de la majorité. Cela s’explique sans doute par la liberté de forme dont ils disposaient pour décrire leur quartier et leur rapport à la ville écriture de slams, de poèmes, description neutre du quartier de résidence ou des lieux fréquentés en s’inspirant des œuvres de Georges Pérec dans Espèces d’espaces. J’ai choisi, en commun avec les professeurs de Français, ce livre comme support d’aide aux élèves pour décrire leur quartier, car il contient de nombreux passages qui fournissent un mode d’emploi des descriptions sociologiques sur la ville Becker, 2010. Figure 2 Texte d’un élève de seconde générale mars 2009 Ma rue,…, je dois parler de ma rue… très bien. Comment ? Le plus platement possible, d’accord, j’me lance. Tout d’abord je n’ai pas vraiment de rue. C’est plutôt un grand bâtiment donnant sur un parking. Sur ce parking de 34 places, une quarantaine de voitures sont stationnées. Il est 19 heures, tout est normal comme d’habitude. Du haut de mes 15 étages je peux apercevoir une grosse flaque d’huile se déversant d’une voiture sans roue, les restes d’une voiture brûlée volontairement d’un acte criminel. De chez moi, je peux voir pratiquement tout le Bois Saint Denis, l’aéroport Charles de Gaulle et ses trois terminaux ses trois tours de contrôle et ses quelques 500 vols par jour, une bonne partie du centre-ville et son brouhaha, l’enseigne de Leroy Merlin » de Livry Gargan clignotant toutes les trois secondes et demie, et le phare de Paris, l’œil de Paris brillant de mille feux à la tombée de la nuit, tournoyant et m’éblouissant à vingt quatre secondes d’intervalle. En bas, devant mon hall, on peut entendre un jeune murmurer à un vieillard J’te donne une dix ». Le vieux répondit Non, je, je…je veux une trente ! ». Ah nan ici, c’est moi qui choisis, j’te passe une dix ! Un point c’est tout ! ». Très bien tu as gagné, donne moi une ». Ou bien un autre, encore plus jeune, essayant de suivre les paroles, incompréhensibles pour lui, d’un rappeur américain qu’il a soigneusement téléchargées illégalement et mis sur son I-Pod vidéo troisième génération huit gigas, qu’il a volé à un pauvre homme dans le RER il s’en vante tous les jours. Sur le mur qui fait face au parking, on remarque que le numéro de mon immeuble est le quatre-vingt treize ou plutôt le trois avec, peint à la peinture blanche, un neuf devant, pour rendre le bâtiment plus beau. C’est bien, c’est créatif, comme quoi avec peu on peut faire beaucoup. Sur le mur de la gauche, un petit dégradé de couleurs qui devient de plus en plus foncé. C’est le jeune qui écoutait du rap US » qui vient d’arriver ici. Il n’habite pas dans ce bâtiment, mais il y reste jour et nuit et il n’a aucune honte ou pudeur. Ah ! Je viens de voir un petit garçon seul qui a failli se faire renverser par une Renault 25 qui voulait se garer. Le petit courait derrière son ballon Némo en pleurant car il avait été percé par le chien d’un jeune qui, faisant des tractions à l’arrêt de bus frime avec ses muscles et ses deux bébés Rottweiler. Les deux Rottweilers ont les oreilles et la queue coupées aux ciseaux par leur maître, car comme ces chiens font des combats, il vaut mieux qu’elles soient coupées, car si, lors d’un combat, l’un d’eux perd une oreille, ce pourrait être très embêtant et humiliant pour le maître. Une bande d’adolescents, sûrement collégiens, avec leurs cartables imbibés de Tipex, viennent de passer dire bonjour aux jeunes postés devant mon bâtiment, ils prennent sur eux alors qu’il ne le faut pas ! Après les avoir salués, ils reprennent leur balade avec ce qu’ils appellent une dégaine. J’appelle ça boiter mais c’est leur choix. Ils rencontrent deux jeunes demoiselles fashion », les adolescents se ruent sur elles comme s’ils avaient aperçus leur idole. Certains leur font la bise et d’autres leur serrent la main pour montrer leur indifférence. Ils partent ensemble sur le côté du bâtiment que je ne peux pas observer. Je ferme la fenêtre de ma cuisine d’où je vous décris mon environnement quotidien, grâce à des jumelles que j’ai utilisées pour plus de précision. La fermeture de cette fenêtre permet une coupure entre le bruit assourdissant des klaxons du 619 et le calme régnant dans ma maison. J’espère que cette description vous a permis de plonger au cœur de ma rue. Comme pour les photographies, ces textes me servaient de support aux entretiens ultérieurs, avec lesquels ils entraient bien souvent en cohérence. Ils témoignaient ainsi avec finesse de différents rapports entretenus au quartier de résidence, parfois mieux décrits dans les récits des jeunes que dans leurs propos. L’ensemble des textes et photographies réalisés, couplé aux résultats des questionnaires, ont ensuite donné lieu à des opérations de valorisation, afin que les élèves puissent voir le résultat de leur travail. Il leur était ainsi demandé, le plus souvent au début des projets, le mode de restitution de leur travail ayant leur préférence. Cette restitution a alors prise différentes formes mise en place d’un blog, expositions dans les halls des établissements, au centre de documentation ou lors de journées portes ouvertes, réalisation d’un petit livret financé par le Conseil général de Seine Saint Denis… A la suite de la réalisation des questionnaires, textes et photographies, des entretiens individuels d’une heure étaient proposés. Il avait été bien expliqué que ces entretiens n’étaient pas obligatoires, bien qu’ils aient lieu le plus souvent durant les heures de cours et dans l’enceinte des établissements. La quasi-totalité des élèves ont accepté de se prêter au jeu, en raison sans doute de la bonne réception du projet dans son ensemble la majorité des élèves se montra ainsi enthousiaste à l’égard d’activités qui sortaient du cadre scolaire habituel, y compris les élèves en difficulté et ayant un rapport compliqué à l’institution scolaire. Cela s’explique sans doute en partie par le fait que les mobilités ne soient pas un sujet trop intime, les élèves pouvant parler de ce thème entre eux. Il n’est ainsi pas certain que de tels projets aient pu être menés sur le thème de la sexualité. Néanmoins, une minorité d’élèves sont restés en retrait, ne manifestant au contraire de leurs camarades aucun enthousiasme. Il s’agissait principalement d’élèves introvertis ou avec une fréquentation très épisodique des établissements scolaires. Ces derniers ont certes accepté ensuite le principe d’un entretien, mais ils me confièrent ensuite que leur motivation principale était de manquer des heures de cours. Je n’ai pas sollicité une autorisation des parents pour la réalisation de ces entretiens, pour les raisons exposées au début de cet article. L’absence d’autorisation me semblait d’autant moins problématique au niveau déontologique, que les entretiens étaient réalisés après que la réalisation et passation des questionnaires aient fait comprendre aux élèves ce que signifiait de participer à une enquête de sociologie. Le principe de l’enregistrement ayant été toujours accepté à trois exceptions près, une version sur CD était remise au jeune quelques jours après la réalisation de l’entretien, à la demande initiale d’une grande partie des élèves. J’ai également interrogé systématiquement les adolescents à la fin de l’entretien sur leur ressenti, la plupart me confiant à cette occasion leur satisfaction. Plusieurs d’entre eux me déclarèrent que cet entretien leur avait permis de mieux comprendre que la mobilité n’était pas innée et qu’ils avaient dû apprendre à se confronter à l’altérité. Il s’agissait néanmoins essentiellement d’adolescents ayant des pratiques de mobilité spécifiques, très fortement tournées vers la flânerie urbaine. D’autres, plus rares, me confièrent leur impression d’avoir expérimenté une séance de psy » leur ayant permis de mieux se connaître, confirmant ainsi que l’entretien avait permis un retour réflexif sur les pratiques. Enfin, une partie des élèves ayant peu l’occasion de se déplacer en dehors de leur quartier souligna que cela leur avait fait du bien de parler des problèmes de leur vie quotidienne à un intervenant extérieur. Ce questionnement immédiat sur leur ressenti n’était pas la seule occasion d’échange avec les élèves sur les entretiens. En effet, une fois les entretiens réalisés avec l’ensemble des volontaires, une séance de restitution était organisée en classe entière, suivie d’un débat sur les principaux résultats obtenus. Cette restitution était guidée à l’origine par des considérations déontologiques. Elle eut néanmoins des répercussions importantes au niveau des résultats scientifiques de ma recherche, en particulier sur la typologie des jeunes que j’avais effectuée en fonction de leurs pratiques de mobilité. Des jeunes, issus de différents établissements scolaires, sont venus ainsi me confier à la fin de la restitution qu’ils comprenaient ma typologie mais qu’ils se reconnaissaient en partie dans deux catégories. Ces remarques m’incitèrent à porter une attention plus soutenue aux processus d’apprentissage et de socialisation multiple des adolescents. Elles me permirent ainsi de complexifier mon approche initiale trop statique et rigoriste de la typologie. Conclusion La méthode que je viens d’exposer d’une co-construction d’une recherche avec des adolescents possède donc des avantages éthiques et scientifiques. Elle était en tout cas adaptée à mon objet de recherche consistant à mieux comprendre les différentes épreuves auxquelles sont confrontés les adolescents de ZUS durant leurs mobilités. Elle ne prend sens qu’en complémentarité avec les autres matériaux ethnographiques et statistiques recueillis. Ces différentes méthodes s’éclairent mutuellement et soulèvent chacune des difficultés éthiques et scientifiques propres. J’ai cependant tiré deux enseignements majeurs de cette méthode relativement originale consistant à faire des adolescents des partenaires de recherche et non un simple objet d’étude. D’une part, les dimensions éthiques et scientifiques d’une recherche sur les adolescents ne sont guère dissociables, la méthode de collecte de données influant fortement sur le matériau recueilli. D’autre part, les adolescents sont sans nul doute compétents pour interpréter ce que la sociologie dit à leur propos. Ils ne sont ainsi pas les simples réceptacles d’une socialisation familiale ou dans l’apprentissage de normes comme on les présente souvent, mais également des acteurs capables et souvent désireux d’avoir un regard réflexif sur leurs pratiques. Bibliographie ALDERSON P. 1995 Listening to Children Children, Ethics and Social Research, Londres, Barnardo’s, 130p. BECKER H. 2010 Comment parler de la société ? Artistes, écrivains, chercheurs et représentations sociales, Paris, La Découverte, 320p. BELL N. 2008 Ethics in child research rights, reason and responsibilities », Children’s Geographies, 6/1, BREVIGLIERI M. 2007 Ouvrir le monde en personne. Une anthropologie des adolescences », in Breviglieri M., Cicchelli V., Adolescences méditerranéennes. L’espace public à petit pas, Paris, L’Harmattan, DANIC I., DELALANDE J., RAYOU P. 2006, Enquêter auprès d’enfants et de jeunes. Objets, méthodes et terrains de recherche en sciences sociales, Rennes, PUR, 216p. DUBET F., MARTUCELLI D. 1996 A l’école. Sociologie de l’expérience scolaire, Paris, Seuil. FINE M., FREUDENBERG N., PAYNE A., PERKINS T., SMITH K., WANZER, K. 2003 Anything Can Happen with Police Around Urban Youth Evaluate Strategies of Surveillance in Public Places», Journal of Social Issues, 59, FIRDION J-M., MARPSAT M., BOZON M. 1995, Est-il légitime de mener des enquêtes statistiques auprès des sans-domicile ? Une question éthique et scientifique », Revue française des affaires sociales, 2-3, GARFINKEL H. 1967 Studies in Ethnomethodology, Cambridge, Polity Press, 288p. HART, R. 1992 Children’s Participation from tokenism to citizenship, Florence, UNICEF International Child Development Centre, 44p . KOKOREFF M. 1998 Mobilités et polarisations des jeunes dans la ville », in Haumont N. dir., L’urbain dans tous ses états. Faire, vivre et dire la ville, Paris, L’Harmattan, LEPOUTRE D. 2005 Souvenirs de familles immigrées, Paris, Odile Jacob, 377p. MASSON J. 2004 The legal context», in Fraser S. dir., Doing Research with Children and Young People, Londres, Sage, MORROW V. 2008 Ethical dilemmas in research with children and young people about their social environments », Children’s Geographies, 6/1, OPPENCHAIM N. 2009 Mobilités quotidiennes et ségrégation le cas des adolescents de Zones Urbaines Sensibles franciliennes », Espace populations sociétés, 2, OPPENCHAIM N. 2011 Les adolescents de catégories populaires ont-ils des pratiques de mobilités quotidiennes spécifiques ? Le cas des zones urbaines sensibles franciliennes », Recherche Transports Sécurité, 27/2, SIME D. 2008 Ethical and methodological issues in engaging young people living in poverty with participatory research methods», Children’s Geography, 6/1, SKELTON T. 2008 Research with children and young people exploring the tensions between ethics, competence and participation », Children’s Geographies, 6/1, VASSY C., KELLER R. 2008 Faut-il contrôler les aspects éthiques de la recherche en sciences sociales, et comment ? », Mouvements, 55-56, TONNELAT S., JOLE M., KORNBLUM W. 2007 Vers une ethnographie participative », in CEFAÏ D., SATURNO C. dir, Isaac Joseph. Itinéraire d’un pragmatiste, Paris, Economica, ZAFFRAN J. 2010 Le temps de l’adolescence – Entre contrainte et liberté, Rennes, PUR.
Relationambiguë collegue. Tout d'abord, je tenais à dire que cela fait un moment que je lis ce forum que je trouve très intéressant, avec des remarques souvent pertinente. C'est pour ça que je viens ici, car je suis en détresse face à une situation compliquée. J'aimerais bcp avoir vos avis. Nouveau dans une petite entreprise, j'ai tout
abricotedapiExpert spécialisé républicain a écrit abricotedapi a écrit Clarianz a écritEn ce qui me concerne je n'oppose pas les deux, je dis juste que la relation professeur-élève est un préalable, elle se fait dans le cadre particulier de l'école où le savoir et la transmissions de celui-ci doivent passer en premier. Sinon comment apprendre à nos enfants que même s'ils n'apprécient pas un professeur ils devront travailler tout de même? Pourquoi ne pourrait-on pas apprendre à un élève qui tutoie qu'il doit travailler, qu'il en ait envie ou non ? Qui a écrit cela sur ce fil? J'essaie de comprendre le lien entre la remarque de Clarianz et le sujet du spécialisé abricotedapi a écritEt bien moi je ne parle pas de tout cela, je ne parle que du n'ai pas d' tant qu'enseignante avec des élèves de 6e, je dis que je ne suis pas gênée par cette habitude de primaire qu'ils finissent par perdre immédiatement pour la plupart. Justement, ils sont de plus en plus nombreux à nous tutoyer en début de 6e cela n'arrivait jamais lorsque j'ai commencé, il y a 20 ans et ils ont de plus en plus de mal à perdre cette habitude. C'est la première année où je dois encore les reprendre alors qu'on est déjà le 7 octobre. Auparavant, les reprendre début septembre une fois suffisait, ils comprenaient immédiatement. Et je sais que ce n'est absolument pas un problème de respect ou non, c'est un problème de "bonnes manières" et de savoir "où est sa place".Et cela me gène d'être dans l'"affectif". Je ne suis pas dans l'affectif avec mes chefs, même si j'apprécie beaucoup la pas fauxEsprit éclairé Zappons a écritJe constate donc que c'est beaucoup plus répandu que je je pensais, et que les avis sont très moi, il y a un lien entre cette "nouveauté" et l'absence générale de respect envers l'enseignant et ce qu'il représente, une fois arrivé dans le secondaire. Et donc les problèmes qui en découlent auxquels on assiste avec effroi dans les autres topics ici même en ce suis d'accord avec la personne ci-dessus qui disait que le vivre-ensemble fait aussi de ce que l'on doit apprendre à l'école quant au fait que ce sont de pauvres petits bouts de chou tout jeunes, en CP je veux bien, mais en CM2 ils ont quand même 10 ans…Et l'argument de mon amie qui est l'argument de son école "de toute façon, ce public [banlieue difficile] n'est pas capable de vouvoyer", m'interpelle aussi. Si on part du principe, dès le départ, qu'ils ne sont capables de rien, même pas d'apprendre à vouvoyer, forcément… Autant aussi ne plus essayer de leur apprendre à précise qu'elle dit avoir des problèmes de discipline avec ses CM2, qui lui parlent mal. En même temps, s'ils avaient appris le respect dans les plus petites classes, j'ai envie de dire… En CM2 c'est presque déjà trop tard. Et ce n'est pas à leur entrée en collège dans moins d'1 an que ça va changer, au contraire, avec la crise d'adolescence. Je plains les pensais qu'à l'école maternelle puis primaire, on apprenait progressivement les fondamentaux. Lire, écrire, compter, vivre l'impression d'être un vieux réac, à mon jeune âge, j'ai l'impression de ne plus comprendre le système éducatif dans lequel je vis. C'est ma problématique quotidienne. Dans mon école de zep +++, je suis entouré de gens sympas, généreux, mais qui sont dans ce mépris social-là. Je n'essaie même pas de lutter. Je me contente de tâcher de cultiver une ambition discrète pour mes élèves, et ils en feront ce qu'ils pour commencer, c'est voussoiement obligatoire et incontournable avec explications à la clé, même si ce n'est pas gagné au spécialiséIl est beaucoup plus facile de tomber dans l'affectif au primaireNous avons ces enfants pendant 24 heures par semaine devant nous, cela pendant 36 semaines. Il est donc naturel que s'établisse une relation amicale avec la plupart, ce qui fait d'ailleurs l'une des spécificités agréables de notre autant, l'évolution naturelle pour grandir semble être un passage par des "rites initiatiques", et l'on peut considérer que le vouvoiement en fait partie, comme Clarianz, semble-t-il, et comme je le conçois exprimer des généralités quant à l'attitude générale d'un élève selon sa façon de s'exprimer envers un adulte est effectivement Astrolaboussole a écrit républicain a écritDans mon école, nous leur demandons de passer au vouvoiement dès le fois l'habitude prise, cela va tout ne me paraît pas normal que des élèves du CM tutoient encore leur fait partie de l'apprentissage du fameux "vivre ensemble". Oui, ça vient tout seul au CE2. C'est assez marrant à observer d'ailleurs. Parfois même 9Je veux bien entendre qu'il existe une politesse à la française, mais je ne la crois pas vraiment liée à la langue, car il y a des contrées d'expression française où le tutoiement est courant sans que ce soit une impolitesse - que ce soit entre adultes inconnus ou d'un enfant à un Tout agent, quelle que soit sa fonction, doit obéissance passive et immédiate aux signaux le concernant. »NormandyxNeoprof expérimenté C'est pas faux a écritC'est ma problématique quotidienne. Dans mon école de zep +++, je suis entouré de gens sympas, généreux, mais qui sont dans ce mépris social-là. Je n'essaie même pas de lutter. Je me contente de tâcher de cultiver une ambition discrète pour mes élèves, et ils en feront ce qu'ils pour commencer, c'est voussoiement obligatoire et incontournable avec explications à la clé, même si ce n'est pas gagné au départ. En tant que "vieux", étant aussi passé par la ZEP, je ne peux que vous encourager à continuer, car si les enfants des quartiers plus standards finiront par recevoir cette habitude plus tardivement, les parents ne les laissant certainement pas continuer à tutoyer n'importe qui au delà d'un certain âge, il est à craindre que les enfants de ZEP ne recevront pas de leurs familles ce bagage culturel et que cela ne serait pour eux qu'un marqueur de plus... J'ai vu reprendre des élèves de CM qui tutoyaient les policiers venus faire les séances de prévention routière... Quand j'étais gamin, j'avais des copains immigrés Portugais à l'école, ils étaient arrivés en France à 5, 6 ans, comme leurs parents avaient du mal avec le français, la mère avait décidé qu'il n'y aurait pas de tu du tout, ce qui fait que quand ils se parlaient en français, ils disaient vous, y compris à leurs parents... superheterodyneNiveau 9 Normandyx a écritQuand j'étais gamin, j'avais des copains immigrés Portugais à l'école, ils étaient arrivés en France à 5, 6 ans, comme leurs parents avaient du mal avec le français, la mère avait décidé qu'il n'y aurait pas de tu du tout, ce qui fait que quand ils se parlaient en français, ils disaient vous, y compris à leurs parents... Peut-être aussi un calque de você..._________________ Tout agent, quelle que soit sa fonction, doit obéissance passive et immédiate aux signaux le concernant. »InvitéInvité abricotedapi a écritJ'ai toujours pensé que le tutoiement était très répandu en primaire et cela ne me choque pas. Le tutoiement n'implique pas l'irrespect je tutoie mes élèves, je les respecte pourtant...Les élèves de primaire sont petits et passent beaucoup de temps avec leur maître ou maîtresse, ils sont proches de cet adulte important pour eux. Dans certaines écoles les enfants ont la même maîtresse tout au long du primaire c'est le cas d'une petite école de village près de mon établissement. Je n'ai aucun problème avec ça. J'ai des 6e, ils sont nombreux à dire encore "maîtresse, tu" au début de l'année, ce n'est pas de l'irrespect, c'est une habitude. Certains intègrent tout de suite le vouvoiement, d'autres prennent plus de temps. Je les reprends gentiment, c'est tout. Tout pareil ! User21714Expert spécialisé abricotedapi a écritJ'ai toujours pensé que le tutoiement était très répandu en primaire et cela ne me choque pas. Le tutoiement n'implique pas l'irrespect je tutoie mes élèves, je les respecte pourtant...Les élèves de primaire sont petits et passent beaucoup de temps avec leur maître ou maîtresse, ils sont proches de cet adulte important pour eux. Dans certaines écoles les enfants ont la même maîtresse tout au long du primaire c'est le cas d'une petite école de village près de mon établissement. Je n'ai aucun problème avec ça. J'ai des 6e, ils sont nombreux à dire encore "maîtresse, tu" au début de l'année, ce n'est pas de l'irrespect, c'est une habitude. Certains intègrent tout de suite le vouvoiement, d'autres prennent plus de temps. Je les reprends gentiment, c'est tout. C'est là l'essentiel!neomathNeoprof expérimentéLes mœurs évoluent, cela se traduit dans le langage et parfois c'est très bien loin que remontent mes souvenirs je vouvoyais et donnais du Madame à mes institutrices. Il en était ainsi à l'époque. Mais je sois dire aussi que leur évocation ne m'évoque aucun bon souvenir. Nous étions toujours rudoyés, parfois battus par des femmes pour lesquelles nous n'avions pas de respect mais de la heureusement, à en juger par les PE que j'ai fréquenté professionnellement ou en tant que parent, ces temps sont complain never explainsurfeuseNiveau 8 volubylis Je n'ai pas voulu insinuer qu'il ne devait pas y avoir d'affection dans la relation entre l'élève et l'enseignant. J'ai seulement tenu à dire, plus haut, que cette relation ne doit pas être QUE cela. Pour que l'élève fasse les efforts que l'on attend de lui, la relation entre enseigné et enseignant ne peut pas, ne doit pas être égalitaire. Qu'on le veuille ou non, elle est hiérarchique. De même, je tutoie mes collègues mais tous, nous vouvoyons le proviseur et ses adjoints. Le "vous" sert à cela la distance. Et il est nécessaire que l'enfant le comprenne assez tôt. Or le tutoiement, qui relève du domaine de l'intimité entre proches amis, membres d'une même famille, nounou, bref, le cercle privé me semble peu compatible avec la reconnaissance indispensable de l'autorité du maître et de la maîtresse. Le "tu" permet la familiarité voire l'insolence alors que le "vous" maintient une distance - qui n'est pas obligatoirement synonyme de froideur ou d'indifférence. Cette distance me semble bonne, nécessaire. Pour parler en termes psychanalytiques, le "tu" est dans le Ça, le "vous" du côté du Surmoi. Le "tu" entretient la régression ou plutôt, la stagnation dans l'état de petit enfant, dans le "Ça", alors que le rôle de l'école, justement, est d'aider l'enfant à faire l'effort de grandir cf l'origine du mot "élève", d'intégrer les règles morales et sociales et de construire ainsi son "Moi". Cela ne se fait pas sans efforts ni renoncements inévitables pour grandir et devenir un sujet responsable et sociable. Tenez, ce débat me fait penser à une autre discussion, du même ordre, sur l'emploi de plus en plus fréquent des termes "papa" et "maman" ailleurs que dans la sphère familiale au lieu des mots adéquats que sont les mots "père" et mère" cf le topic ._________________"L'école est faite pour libérer les enfants de l'amour de leurs parents. C'est une machine de guerre contre la famille "" Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue." Alain.babetteNeoprof expérimentéQuelques élèves de 6èmes laissent encore échapper un "tu" ou même un "maitresse, tu...". Souvent, les autres élèves chuchotent "han... il ne faut pas tutoyer!". J'avoue que cela ne me choque pas qu'un élève de primaire tutoie son enseignant. Ils prennent vite l'habitude au collège de vouvoyer. Et pour ma part, je pense qu'on peut très bien être insolent en vouvoyant et très respectueux en tutoyant, pour moi cela n'a rien à voir. _________________ Si ton rève se réalise, c'est qu'il n'était pas assez beau." Proverbe 7 doublecasquette a écritLe problème, c'est la difficulté de cette collègue à obtenir que ses élèves la respectent. Pas le tutoiement. Elle est loin d'être la seule à avoir ce genre de problèmes dans cette école, c'est général. Une école primaire dans une banlieue très difficile.[/quote]surfeuseNiveau 8Eh ! ne pas schématiser ma pensée, SVP. Je n'ai pas dit que le "vous" empêchait radicalement l'insolence ce qui serait une stupidité mais que le "tu" implique une proximité qui permet plus aisément la familiarité -voire l'irrespect. _________________"L'école est faite pour libérer les enfants de l'amour de leurs parents. C'est une machine de guerre contre la famille "" Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue." Alain.ClarianzEmpereurJe trouve dingue de confondre le relâchement de vocabulaire et le respect. Je dis que l'abandon progressif du vouvoiement est un symbole de la perte de certaines marques de politesse, que les parents ne les transmettent plus. Alors oui, dans les années 70 c'était une pratique un peu hippie et, oui dans certaines régions c'est pittoresque, et non ce n'est pas l'usage! Sinon, je vous donne du "ma naine" comme marque de respect et de gentillesse! Comme elles disent chez moi... C'est respectueux, mais je trouve ça plouc! -finalement, nous pouvons conclure, j'ai trouvé, je suis snob! Je trouve que dire maîtresse au lieu de madame, et tutoyer tout le monde est terriblement plouc! C'est un marqueur social, comme mettre les coudes sur la table, quoi!_________________Mama's RockdandelionDoyen kero a écrit Zappons a écritPour moi, il y a un lien entre cette "nouveauté" et l'absence générale de respect envers l'enseignant et ce qu'il représente, une fois arrivé dans le secondaire. Et donc les problèmes qui en découlent auxquels on assiste avec effroi dans les autres topics ici même en ce moment. Alors là, je ne suis vraiment pas d' vais revenir sur mon exemple suisse, mais en plein milieu des années 80/début des années 90, la règle là où j'étais était précisément de tutoyer au primaire, vouvoyer au secondaire et il n'y avait aucun problème de passage, comme quelqu'un d'autre l'a déjà dit plus haut, mes petits 6e en pleine ZEP ne m'ont jamais tutoyé, ils comprennent de suite. Et s'il peut leur arriver de se planter, pour ensuite devenir blême, ça ne me semble vraiment pas être un drame. Je confirme. En Suisse on dit 'Salut' à la maîtresse, pour dire bonjour et au revoir, et si vous faites un tour sur le site d'Ikéa suisse, vous constaterez qu'il vous tutoie. Il me semble qu'il y a des habitudes régionales assez marquées. J'ai aussi eu de nombreux élèves étrangers, pour qui le vouvoiement n'était pas du tout facile, car il n'existait pas dans leur langue, certains s'en offusquaient, cela ne m'a jamais gênée outre mesure, je leur expliquais simplement quelle était la règle en France. Je trouve cependant qu'il est intéressant de vouvoyer ne serait-ce que pour que la conjugaison soit maîtrisée, notamment dans des quartiers où le Français n'est pas la langue maternelle d'une majorité d' 7 surfeuse a écrit volubylis Je n'ai pas voulu insinuer qu'il ne devait pas y avoir d'affection dans la relation entre l'élève et l'enseignant. J'ai seulement tenu à dire, plus haut, que cette relation ne doit pas être QUE cela. Pour que l'élève fasse les efforts que l'on attend de lui, la relation entre enseigné et enseignant ne peut pas, ne doit pas être égalitaire. Qu'on le veuille ou non, elle est hiérarchique. De même, je tutoie mes collègues mais tous, nous vouvoyons le proviseur et ses adjoints. Le "vous" sert à cela la distance. Et il est nécessaire que l'enfant le comprenne assez tôt. Or le tutoiement, qui relève du domaine de l'intimité entre proches amis, membres d'une même famille, nounou, bref, le cercle privé me semble peu compatible avec la reconnaissance indispensable de l'autorité du maître et de la maîtresse. Le "tu" permet la familiarité voire l'insolence alors que le "vous" maintient une distance - qui n'est pas obligatoirement synonyme de froideur ou d'indifférence. Cette distance me semble bonne, nécessaire. Pour parler en termes psychanalytiques, le "tu" est dans le Ça, le "vous" du côté du Surmoi. Le "tu" entretient la régression ou plutôt, la stagnation dans l'état de petit enfant, dans le "Ça", alors que le rôle de l'école, justement, est d'aider l'enfant à faire l'effort de grandir cf l'origine du mot "élève", d'intégrer les règles morales et sociales et de construire ainsi son "Moi". Cela ne se fait pas sans efforts ni renoncements inévitables pour grandir et devenir un sujet responsable et sociable. Tenez, ce débat me fait penser à une autre discussion, du même ordre, sur l'emploi de plus en plus fréquent des termes "papa" et "maman" ailleurs que dans la sphère familiale au lieu des mots adéquats que sont les mots "père" et mère" cf le topic . Absolument complètement totalement d'accord avec ton Zappons a écrit surfeuse a écrit volubylis Je n'ai pas voulu insinuer qu'il ne devait pas y avoir d'affection dans la relation entre l'élève et l'enseignant. J'ai seulement tenu à dire, plus haut, que cette relation ne doit pas être QUE cela. Pour que l'élève fasse les efforts que l'on attend de lui, la relation entre enseigné et enseignant ne peut pas, ne doit pas être égalitaire. Qu'on le veuille ou non, elle est hiérarchique. De même, je tutoie mes collègues mais tous, nous vouvoyons le proviseur et ses adjoints. Le "vous" sert à cela la distance. Et il est nécessaire que l'enfant le comprenne assez tôt. Or le tutoiement, qui relève du domaine de l'intimité entre proches amis, membres d'une même famille, nounou, bref, le cercle privé me semble peu compatible avec la reconnaissance indispensable de l'autorité du maître et de la maîtresse. Le "tu" permet la familiarité voire l'insolence alors que le "vous" maintient une distance - qui n'est pas obligatoirement synonyme de froideur ou d'indifférence. Cette distance me semble bonne, nécessaire. Pour parler en termes psychanalytiques, le "tu" est dans le Ça, le "vous" du côté du Surmoi. Le "tu" entretient la régression ou plutôt, la stagnation dans l'état de petit enfant, dans le "Ça", alors que le rôle de l'école, justement, est d'aider l'enfant à faire l'effort de grandir cf l'origine du mot "élève", d'intégrer les règles morales et sociales et de construire ainsi son "Moi". Cela ne se fait pas sans efforts ni renoncements inévitables pour grandir et devenir un sujet responsable et sociable. Tenez, ce débat me fait penser à une autre discussion, du même ordre, sur l'emploi de plus en plus fréquent des termes "papa" et "maman" ailleurs que dans la sphère familiale au lieu des mots adéquats que sont les mots "père" et mère" cf le topic . Absolument complètement totalement d'accord avec ton message. Tous les Suisses Romands sont des enfants, et avec eux bon nombre de Provençaux, sans compter tous les Anglophones? Faudrait peut-être raison garder, non ?doublecasquetteEnchanteur Zappons a écrit doublecasquette a écritLe problème, c'est la difficulté de cette collègue à obtenir que ses élèves la respectent. Pas le tutoiement. Elle est loin d'être la seule à avoir ce genre de problèmes dans cette école, c'est général. Une école primaire dans une banlieue très difficile. Je me doute. Mais je ne pense pas que ce soit lié au tutoiement. Je pencherais plutôt pour cette espèce de mépris condescendant qui fait qu'on ne présente jamais le PE comme quelqu'un qui sait et qui peut donner ce qu'il sait. Notre hiérarchie n'a pas encore compris la bêtise qu'elle a faite le jour où elle nous a expliqué qu'il fallait recevoir les familles jusque dans les classes, puis que c'était aux enfants de nous apprendre ce dont ils avaient besoin, puis que nous devions les conforter dans leur délire de toute-puissance estime de soi et tolérer une façon de s'exprimer censément conditionnée par une origine sociale quand ce n'est pas ethnique... . Au lieu de rétablir cette distance par l'estime que les familles devraient ressentir pour ceux qui éduquent et instruisent leurs enfants, on cherche par à-coups à rétablir des signes extérieurs ponctuels, sans le corps indispensable qui était derrière et qui seul était important. Un coup, c'est la blouse, un autre le vouvoiement... Mais le jour où l'on dira que l'école est là pour avoir de l'ambition pour tous les enfants qui la fréquentent et que ses professeurs sont des gens éminemment respectables, ça, ce n'est pas demain la veille. VudiciFidèle du forum" />_________________Front de Libération des Lichens Injustement MassacréssuperheterodyneNiveau 9 surfeuse a écritPour parler en termes psychanalytiques, le "tu" est dans le Ça, le "vous" du côté du Surmoi. Le "tu" entretient la régression ou plutôt, la stagnation dans l'état de petit enfant, dans le "Ça", alors que le rôle de l'école, justement, est d'aider l'enfant à faire l'effort de grandir cf l'origine du mot "élève", d'intégrer les règles morales et sociales et de construire ainsi son "Moi". Cela ne se fait pas sans efforts ni renoncements inévitables pour grandir et devenir un sujet responsable et sociable. Je me demande comment cette explication psychanalytique se porte au-delà des frontières françaises. Quid des langues dans lesquelles l'une des deux formes de la deuxième personne est devenue complètement archaïque l'anglais étant l'exemple le plus connu comme l'a souligné dandelion on n'y tutoie plus que Dieu voire des langues qui n'ont aucune distinction T-V ???_________________ Tout agent, quelle que soit sa fonction, doit obéissance passive et immédiate aux signaux le concernant. »surfeuseNiveau 8Décidément, certains, ici, ont l'art de traduire mes propos pour me faire dire ce que je n'ai pas dit ! c'est fatigant ! Je sais qu'il existe des pays francophones et peut-être des régions de France où le vouvoiement n'est pas évident, je sais que les Anglophones ont du mal avec cette différence entre le "tu" et le "vous" ! Je ne parlais pas de ces cas de figures particuliers et je pense que l'on s'égare, que l'on noie le poisson en évitant le fond de la question, que j'ai tenté de rappeler quel que soit l'âge tutoyer son enseignant n'est ni neutre, ni innocent. Pour ma part, je pense que cela participe du laxisme et de la démagogie dont beaucoup de profs ont tant à se plaindre Zappons ! _________________"L'école est faite pour libérer les enfants de l'amour de leurs parents. C'est une machine de guerre contre la famille "" Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue." Alain.surfeuseNiveau 8PS pour superheterodyne nous avons répondu en même temps encore une fois, je ne parle que de ce implique le tutoiement des écoles françaises n'était-ce pas la question initiale ?._________________"L'école est faite pour libérer les enfants de l'amour de leurs parents. C'est une machine de guerre contre la famille "" Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue." Alain.surfeuseNiveau 8Oups, post envoyé trop vite. Lire "de ce qu'implique le tutoiement"..._________________"L'école est faite pour libérer les enfants de l'amour de leurs parents. C'est une machine de guerre contre la famille "" Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue." Alain.surfeuseNiveau 8... en France, dans les écoles est faite pour libérer les enfants de l'amour de leurs parents. C'est une machine de guerre contre la famille "" Je ne promettrai donc pas le plaisir, mais je donnerai comme fin la difficulté vaincue." Alain.Sujets similairesChine un forcené tue trois élèves et un enseignant dans une école horticole d'Antibes 150 élèves manifestent pour garder leur enseignant remplaçant. Lanmeur 29 insultés par les élèves d'un cours d'EPS, deux sexagénaires braquent leur fusil et lancent leur chien sur les Harris L'immense majorité des enseignants du primaire contestent la réforme des rythmes scolaires, et sont insatisfaits de leur salaire, de leur carrière et de leurs formations. GCB dans Libé, beurk ... "Si les enseignants respectaient les élèves, à leur tour les élèves les respecteraient."Sauter versPermission de ce forumVous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Letutoiement par contre favorise une relation plus proche, d’où le fait que certaines fonctions incitent plus au tutoiement. En effet, la secrétaire et la direction, de par leurs fonctions, s’impliquent moins dans l’intimité des résidents et restent plus dans le vouvoiement que les éducateurs par exemple. De plus, dans un rapport de professionnel à
Un jeudi après-midi en unité de soins de longue durée. Le psychologue est venu prendre des nouvelles de Madame Solange S., résidente alitée qui présente des troubles démentiels, mais qui a conservé certaines capacités de jugement critique. Une aide soignante passe la tête par la porte, et annonce on va bientôt venir te changer, Soso». Madame S. dit alors au psychologue je n’aime pas qu’on m’appelle Soso ça n’est pas respectueux». Les abus de familiarité du personnel soignant envers les résidents sont essentiellement rencontrés en pédiatrie et en gériatrie. Si la familiarité est en général adaptée dans le premier cas, elle est très souvent abusive dans le second, et s’apparente à une forme de maltraitance. Elle ne doit donc pas nous laisser indifférents. Nous allons essayer ici de décrire les formes de cette familiarité, d’en identifier les causes, d’en repérer les dangers, et de proposer des moyens pour la limiter. Mais avant cela, il paraît indispensable de préciser ceci il s’agit ici de stigmatiser un certain nombre de comportements abusifs, mais certainement pas le personnel gérontologique à qui il arrive de les produire. On verra qu’en général ces comportements ne sont pas imputables aux seuls individus, mais également et principalement aux cultures dans lesquelles ils évoluent, ainsi qu’à leurs conditions de travail. Que celui qui, travaillant auprès des personnes âgées, et voulant rester chaleureux, ne s’est jamais, sans s’en rendre compte, comporté trop familièrement avec l’une d’entre elles, leur jette la première pierre… LES PRINCIPALES FORMES DE LA FAMILIARITÉ Le tutoiement est sans doute la marque de familiarité la plus répandue. On notera qu’il y a plusieurs formes de tutoiement, selon qu’il est censé exprimer la proximité affection, camaraderie, intimité, etc.; ou la distance supériorité, condescendance, mépris… L’usage du prénom, voire même d’un diminutif est en général indissociable du tutoiement. Parfois ce sont de petits noms » qui sont employés ma jolie, ma petite puce, mon lapin, ma chérie… », sans parler des mémé, papi… ». Le ton utilisé à l’égard des résidents âgés est fréquemment celui qu’on emploierait plutôt à l’égard de proches qu’à l’égard de résidents d’une trentaine d’années par exemple, manifestant tantôt la séduction, la sécheresse, l’énervement, l’autorité… Globalement, on pourrait dire que ce ton participe d’une certaine infantilisation du résident. L’espace de vie intime du résident est souvent traité par le soignant comme s’il en était usager au même titre il ne frappe pas avant d’entrer, il manipule arbitrairement les objets personnels… Le corps même du vieillard est à l’occasion le lieu de manifestations affectives hors de propos tapes affectueuses, caresses dans les cheveux ou sur les joues… La vie passée du résident peut faire l’objet d’incursions indiscrètes. Ainsi j’ai pu entendre une animatrice, a priori titulaire d’un Diplôme Universitaire de Gérontologie lancer à une résidente très digne de plus de quatre-vingt-dix ans vous avez bien dû la lever, la jambe, quand vous étiez jeune !». Des propos attendris sont tenus devant le résident concerné comme s’il s’agissait d’un bambin ou d’un chiot il est trop mignon ! elle est adorable ! quel coquin !»…. Les taquineries plus ou moins déplacées s’apparentent rapidement à des brimades, surtout quand leur initiateur veut se faire valoir auprès de l’assistance présente. Le personnel se sent moins engagé dans la réalisation de ses promesses, ainsi que dans la ponctualité de ses interventions. Des choix sont faits à la place du résident, indépendamment de ce qu’il peut exprimer, comme si on savait mieux que lui ce dont il a vraiment besoin ou envie. On pourrait sans doute trouver encore bien d’autres formes de familiarité, plus ou moins dommageables pour les résidents. Le principe qui préside à la plupart de ces comportements, c’est que le personnel a tendance à glisser, au contact de la population âgée et encore plus de la population âgée démente, d’un rapport professionnel à un rapport personnel très fortement teinté d’affectivité positive ou négative. LES CAUSES DE LA FAMILIARITÉ Bien des facteurs peuvent contribuer à l’émergence des comportements mentionnés ci-dessus souvent actifs simultanément, ils ont de plus tendance à se renforcer mutuellement. D’abord, il peut s’agir pour le personnel de rechercher une relation affective avec le résident, même si les moyens utilisés s’avèrent maladroits, voire contre-productifs. On peut alors se demander ce qui origine cette recherche. Il est vrai que le personnel a ses propres besoins affectifs, et qu’ils sont nettement plus importants pour certains que pour d’autres. Mais dans le domaine précis de la gérontologie, les soignants sont confrontés à la grande misère physique, émotionnelle, affective, et mentale des résidents, misère qui ne peut manquer d’émouvoir ceux qui en sont les témoins quotidiens, et les incitera à apporter des compensations affectives à ceux qui en sont victimes le résident paraîtra moins malheureux, et le soignant souffrira donc moins. Egalement, le spectacle de cette misère renvoie le soignant à ses propres vulnérabilité et finitude, ainsi qu’à celles de ses proches il aura alors besoin pour lui-même de relations affectives avec les résidents, mais aussi avec ses collègues afin de lutter contre l’angoisse qui l’étreint. Enfin, le soignant se sent souvent coupable à l’égard du résident de ne pas le guérir, de ne pas satisfaire tous ses besoins, de l’importuner ou de le faire souffrir lors des soins…, et il cherchera alors à se faire pardonner en donnant des gages d’affection. Sur un versant plus sombre, la familiarité peut être agressive recherche de pouvoir, besoin de rabaisser l’autre ou de l’humilier pour mieux se valoriser soi-même, disposition perverse à détruire l’autre en niant son droit au respect, désir de vengeance inconscient à l’égard de figures parentales… Et, tout simplement, il y a très souvent au fond de cette agressivité, le désir, ici encore inconscient, de punir celui qui fait souffrir le soignant en lui imposant le spectacle du malheur, en le confrontant à ce qu’il risque de devenir lui-même, en le mettant en échec, et en requérant des soins pénibles à administrer. Sans compter l’envie, déjà plus consciente, de faire payer à certains leurs révoltes opposition aux soins, coups, morsures, injures, cris incessants, dispersion des excréments… La familiarité n’est parfois qu’un symptôme du conformisme de certains soignants elle fait partie de la culture de l’équipe qui les intègre, et, soit ils l’adoptent sans réflexion comme allant de soi puisqu’elle existe; soit ils s’en accommodent pour ne pas risquer d’être exclus du groupe. Il est vrai que certains résidents réclament une certaine familiarité de la part des soignants, soit qu’elle corresponde effectivement à leur culture personnelle, soit qu’ils aient un intense besoin de réassurance affective. Mais plusieurs erreurs sont alors facilement commises par le personnel il dépasse pour ces résidents le niveau de familiarité attendu; il le généralise à des résidents qui n’ont pas la même demande; il ne rétablit pas les limites indispensables, que le résident ne discerne pas toujours très bien, entre les relations d’ordre privé et celles d’ordre professionnel. Dans le même ordre d’idées, certains résidents imposent aux soignants une familiarité plus ou moins agressive tutoiement, indiscrétions, insultes…, qui va dégrader les barrières morales que le professionnel se doit d’interposer entre le client et lui. Il peut arriver également que la familiarité du personnel soit induite par un transfert sur les résidents des relations avec les parents et grands-parents. Malgré les explications qui précèdent, une question subsiste pourquoi le personnel gérontologique se permet-il d’aller au-delà de ce que seraient ses attitudes à l’égard de résidents plus jeunes par exemple des cancéreux quarantenaires en stade terminal? En effet, les causes invoquées ci-dessus ne suffisent pas pour expliquer les débordements. Certains freins devraient empêcher ces causes potentielles de donner lieu à des abus réels. Or ces freins ne semblent pas exister face à la personne âgée. A ce phénomène on peut proposer au moins cinq explications. D’abord, la vieillesse est fortement dévaluée dans notre culture occidentale moderne. Le grand âge et la mort sont obscènes, et les qualités valorisées sont celles de la jeunesse. Le vieillard est plus ou moins clairement considéré comme une sous-personne encombrante qui va payer leurs retraites, qui va s’occuper d’eux, qui va prendre en charge leurs frais de santé ? qui ne mérite pas les mêmes égards que les jeunes. Ensuite, dans le milieu gérontologique, une culture du retour en enfance progressif du vieillard reste implicitement dominante, malgré le démenti apporté aux thèses scientifiques de la rétrogenèse, et bien qu’il soit évident qu’on ne peut confondre quelqu’un qui a toute la vie devant soi, avec quelqu’un qui a eu une vie amoureuse, sexuelle, sociale, parentale, civique, professionnelle… On va donc avoir tendance à traiter le vieillard avec aussi peu de respect que l’enfant, sur un mode essentiellement affectif. Et puis, les institutions gérontologiques proposent en général un accueil de longue durée, et le temps y grignote lentement, comme dans les couples, les égards, la discrétion, les pudeurs… Insensiblement, sans qu’on s’en rende compte, on franchit les frontières de l’inacceptable. Les cohortes actuelles de vieillards souffrent également d’un préjugé tenace selon lequel leurs membres sont nécessairement conviviaux, bons vivants, et ne s’embarrassent pas de formalités dans leurs relations en ce temps-là on savait s’amuser et on ne se compliquait pas la vie !». Pourtant, même si cela est en partie vrai pour les catégories socio-professionnelles les moins favorisées, ces générations sont beaucoup plus marquées par un sens aigu du respect d’autrui, et par conséquent du respect qu’ils peuvent en attendre. Enfin et surtout, le vieillard est vulnérable, voire sans défense. Il est livré plus ou moins totalement à l’équipe soignante. Non seulement il n’a pas grand monde auprès de qui se plaindre, mais souvent il n’en a plus la possibilité physique, ou sa parole est disqualifiée une fois qu’on l’a souvent trop rapidement étiqueté dément ». Je pense à deux exemples, qui dépassent nettement le cadre de la familiarité, mais sont très révélateurs cet ancien ASH qui comptait amuser son auditoire en racontant comment, vingt ans plus tôt, il était venu annoncer avec un collègue, à une vieille dame acariâtre qu’il voulait adoucir, que l’équipe avait débattu de son cas et avait voté la mort; ou ce fait divers concernant une résidente grabataire démente qu’on n’a pas crue quand elle disait qu’un homme venait dans son lit, et qui s’est avérée avoir contracté la syphilis depuis son entrée dans l’institution… Toutes ces données font leur travail inconscient dans l’esprit de certains soignants, qui par ailleurs seraient pour la plupart horrifiés si on leur faisait prendre conscience de certains de leurs abus. LES DANGERS DE LA FAMILIARITÉ Le premier danger pour le résident, ainsi que l’évoque notre exemple initial Soso », c’est d’entamer son estime de soi. Le vieillard voit déjà celle-ci assaillie régulièrement dégradation de son corps dans son apparence et son fonctionnement, mise à l’écart du monde professionnel, dévalorisation de sa tranche d’âge dans la culture dominante, mise sous tutelle, dépendance, réduction ou même disparition de la liberté de choix autrement dit, de l’autonomie avec en particulier une institutionnalisation généralement imposée… Le rôle de l’équipe soignante devrait en particulier comporter une mission de renarcissisation du résident, c’est-à-dire de restauration de l’image dégradée qu’il a de lui-même. Or, tout ce qu’il va vivre comme abus de familiarité va opérer au contraire dans le sens d’un surplus de détérioration de cette image. Ensuite, le vieillard qui ne peut se défendre contre les abus va se sentir d’autant plus vulnérable, et peut réagir par une anxiété plus ou moins lourde, de manière continue ou par accès. Également, comme on l’a vu, certaines formes de familiarité débouchent sur une non-reconnaissance des besoins ou envies pourtant exprimés par les résidents, ce qui va par principe à l’encontre de leur bien-être puisque ces besoins et envies ne seront pas satisfaits. La familiarité est aussi nuisible indirectement aux résidents qui n’en sont pas bénéficiaires, quand ils sont indûment délaissés au profit des favoris. Un autre danger, plus sournois, guette le résident c’est d’adhérer complètement aux formes de familiarité qui lui sont proposées, participant activement à la relation fusionnelle recherchée par le soignant, ce qui va créer chez lui une dépendance affective d’autant plus forte qu’il n’a guère d’autres objets d’attachement dans son entourage, et qu’il se sait déjà dépendant matériellement du personnel. Les conséquences peuvent en être néfastes refus des soins émanant d’autres soignants, état dépressif lié aux absences ou au départ du soignant élu, etc. Mais les dangers liés aux excès de familiarité concernent également le personnel lui-même. Ainsi, en dévalorisant les résidents par des excès de familiarité, le soignant ne se rend pas compte qu’il dévalorise son propre travail, et donc lui-même. Il participe ainsi inconsciemment à la dégradation de son image de soi en tant que professionnel, alors qu’il a déjà à souffrir du déficit d’estime attaché au milieu gérontologique. Le soignant peut également ressentir une lourde culpabilité s’il lui arrive de prendre conscience d’être allé trop loin. Et puis il est nécessairement confronté aux conséquences de ses abus de familiarité envers le résident, au travers des réactions de celui-ci syndrome de glissement, opposition, agressivité, mais aussi avidité affective sans fond… Le problème est qu’en général il ne réalise pas que ces comportements sont pour une part induits par les siens propres. Enfin, le soignant risque lui aussi de trop s’investir dans la relation au résident, et donc de supporter d’autant moins bien de le voir souffrir et finalement mourir. Pour finir, on ne manquera pas d’évoquer la souffrance que peut provoquer chez les familles la familiarité des soignants envers leur proche. En effet, elles vont d’abord se sentir dépossédées de l’intimité qu’elles avaient entretenue avec leur parent. Ensuite, elles ne manqueront pas d’être blessées, voire humiliées à la place de leur proche en cas d’abus constaté, avec parfois en plus la culpabilité de ne rien faire pour y mettre fin Si je réagis, ne se vengeront-ils pas sur lui en mon absence ? Et s’ils me disent de le reprendre, que vais-je en faire ?… ». LES PRINCIPES À NE PAS OUBLIER La première chose à faire face aux abus, c’est de ne pas commettre l’erreur de les amalgamer à des formes acceptables, voire souhaitables de familiarité. En effet, beaucoup de résidents ont des besoins affectifs à l’égard du personnel, que ce soit simplement par tempérament, par solitude, ou pour être rassurés quant aux intentions de ceux dont ils dépendent. Sans compter qu’une raréfaction des manifestations de familiarité habituelles peut être ressentie par le résident comme un rejet songeons en particulier aux résidents oligophrènes ou psychiatriques qui vivent en institution depuis plusieurs dizaines d’années. Le soignant a lui aussi besoin en général d’introduire un minimum d’affectivité, et donc de proximité, dans sa relation avec le résident, afin de ne pas se vivre comme un simple instrument institutionnel, et de donner un sens humain à sa pratique. Quant aux familles, elles apprécient d’observer que leur proche attire la sympathie du personnel. Donc, il y a de la bonne familiarité, indispensable à l’épanouissement des différents intervenants. Il va alors s’agir de fixer les limites entre la bonne et la mauvaise familiarité. Il faut d’abord comprendre que ces limites vont dépendre du résident concerné chaque individu est singulier, et doit donc être considéré comme tel. Ainsi, celui-ci refusera toute forme de familiarité, celui-là voudra être tutoyé mais sera vigilant quant à tout éventuel manque de respect, tel autre encore cherchera à se faire totalement materner, avec un brin de masochisme. Par ailleurs, le résident est singulier, mais encore en évolution, et cela devra également être intégré par exemple, il cherchera à augmenter la familiarité du personnel en phase de décompensation, mais voudra revenir à l’état antérieur après sa guérison. Il faudra donc en permanence évaluer les besoins du résident. Mais ces besoins ne sauraient être automatiquement satisfaits. Il revient aux soignants de ne jamais dépasser les limites qu’imposent, non seulement et avant tout le simple respect, mais encore les règles déontologiques en vigueur dans les professions et l’institution concernées. Parmi ces dernières, il est bon de souligner plus particulièrement que toute forme de favoritisme est proscrite, dés lors qu’elle désavantage objectivement certains résidents par rapport à d’autres. Également, le soignant doit veiller à ne pas générer chez le soigné une trop grande dépendance affective. LES DISPOSITIFS D’AIDE AUX SOIGNANTS On conviendra, au vu de ce qui précède, que la tâche va être ardue pour le personnel, d’identifier jusqu’où il doit et peut aller dans le domaine de la familiarité. Il est donc indispensable de l’y aider. Pour ce faire, il y a bien sûr d’abord la formation, initiale et continue, qui mettra en garde le soignant contre les différentes formes d’abus, l’aidera à comprendre les mécanismes psychiques qui y concourent, le sensibilisera aux risques associés, et lui fera assimiler les principes à mettre en œuvre pour les éviter. Une telle formation doit nécessairement comporter un volet de réflexion quant à sa propre pratique. La hiérarchie du soignant doit rester disponible pour aborder ce thème avec ceux qui en font la demande ou sont suspectés d’abus. Il est souhaitable que la démarche se veuille pédagogique, la sanction restant le dernier recours. Le soignant peut également rencontrer le psychologue de l’institution en entretien individuel, s’il prend conscience spontanément ou non de déraper dans sa pratique. Le psychologue l’aidera à comprendre ce qui lui arrive et à trouver des solutions, en dehors de tout jugement. Les groupes de parole régulés par un psychologue peuvent également permettre d’aborder ce problème de façon collégiale, sans qu’intervienne la moindre dimension hiérarchique. Les participants bénéficient de l’expérience de leurs confrères, et les solutions conçues ensemble sont beaucoup mieux assimilables que celles imposées, ou même simplement proposées par la hiérarchie. En pratique, si un abus est identifié, on peut envisager le processus suivant un groupe de parole est organisé sur un thème permettant d’évoquer le type d’abus rencontré, sans que le soignant concerné, bien entendu présent, soit désigné, donc stigmatisé cette étape peut être sautée s’il y a urgence; en cas de persistance du problème, le soignant est convoqué à un entretien par sa hiérarchie, qui lui explique en quoi il fait erreur, et lui propose de rencontrer le psychologue en entretien individuel. Si le soignant est volontaire, il a un ou plusieurs entretiens avec le psychologue, qui l’aide à traverser cette passe difficile; si rien n’a suffisamment changé, la hiérarchie peut en dernier recours envisager la sanction. Il serait cependant souhaitable qu’elle se concerte avec le psychologue, qui peut identifier d’autres solutions ou aider à limiter les effets négatifs de la sanction. On voit qu’une véritable révolution culturelle reste à mettre en place dans les établissements gérontologiques pour éviter les abus de familiarité envers les résidents. Elle passera nécessairement, non pas par la stigmatisation des soignants, mais par leur formation et leur accompagnement.
Cependantnous pouvons l'utiliser dans le cadre d'une activité commune et conviviale, dans ce cas nous demandons aux personnes concernées si nous pouvons utiliser le
Les Sonnets » dans la Pléiade Shakespeare, c’est tout un poème Adulé pour son théâtre flamboyant, Shakespeare a également signé une oeuvre poétique remarquable, rassemblée dans un tout nouveau volume de La Pléiade. L’occasion de revenir sur l’énigme de ses Sonnets ». Leurs sens multiples, leurs jeux de mots, leur rythme et leur harmonie éblouissent encore aujourd’hui. Par Philippe Chevilley La troupe du Berliner Ensemble en 2010, dans une mise en scène de Robert Wilson de 25 sonnets de Shakespeare sur une partition musicale de Rufus Wainwright. ©RUBY WASHINGTON/The New York Tim > ZOOM cliquer l’image On a éprouvé les tempêtes et les guerres, admiré et haï les rois, rit avec les fous, pleuré avec les amants désunis, tutoyé le ciel et la terre… Cette fois, l’aventure est terminée le huitième et dernier tome des oeuvres complètes de William Shakespeare 1564-1616, en édition bilingue dans une nouvelle traduction, est paru dans La Pléiade. Un bouquet final dédié à la poésie du grand Will. Pour Jean-Michel Déprats, qui travaille à cette somme depuis deux décennies, traduire les fameux Sonnets - au coeur de cet ultime tome - n’a pas été la partie la plus facile. Il m’a fallu deux ans et demi pour y parvenir… » A titre d’exemple, j’ai passé autant de temps sur le sonnet 135 que sur une pièce entière ». Ce sonnet adressé à une mystérieuse dame brune concentre à la fois tout le génie et la complexité de l’oeuvre polysémie sexuelle, passion des jeux de mots, rythme hypnotique. Le poète joue avec Will, son prénom, et celui d’un rival qui désigne en anglais à la fois le verbe vouloir et l’organe sexuel masculin ou féminin. De Will » en will », il reproche à sa maîtresse de se donner à tous les hommes, mais pas à lui . Pour ne pas altérer le sens et l’effet produit, j’ai diversifié les traductions correspondant aux significations diverses.. en restant proche quand c’est possible du son ’will’ par exemple avec le mot ’oui’ ». Fabuleux paradoxe Les Sonnets constituent un fabuleux paradoxe. D’un côté, ils illustrent la cohérence du génie shakespearien, dramaturge et poète à part entière. En dévoilant ce qui semble être sa part intime, ils inclinent à penser que l’homme a bel et bien existé, que Shakespeare n’est pas le nom de code d’un collectif, comme certains le prétendent. Mais d’un autre côté, par leur singularité et leur caractère énigmatique, ils accroissent le mystère d’un destin extraordinaire - celui de ce fils de gantier qui, une fois marié, a brutalement renoncé à sa petite vie paisible dans la ville de Stratford pour conquérir Londres et le monde. Lorsque Shakespeare s’attaque au sonnet, ce genre noble est tombé en désuétude. Qu’à cela ne tienne ! Dans son introduction au tome de La Pléiade, l’universitaire Anne-Marie Miller-Blaise 1 explique que le dramaturge s’est emparé du modèle de Pétrarque - ode très codifiée à l’amour sublimé - pour mieux le subvertir. La structure, trois quatrains suivis d’un distique, sert son dessein exposer des pensées, pour mieux les questionner, voire les contredire Il retourne les choses, les mots, fait éclater tous leurs sens ». Selon la spécialiste, pour Shakespeare, il n’y a pas d’interdit du langage. De coïncidence en coïncidence, il nous invite à abolir l’inconscient de la langue ». Jeune éphèbe et dame brune La subversion tient aussi aux épanchements équivoques du poète. Dans les 126 premiers sonnets, il exprime son amour pour un jeune homme ; dans les 28 derniers, son désir pour la sulfureuse Dark Lady ». Le chassé-croisé vire au trio amoureux quand le poète jaloux reproche à la dame de vouloir séduire son amant. S’il semble ne pas vouloir passer à l’acte avec le jeune homme il le voue au lit des femmes et l’incite à se reproduire, il brûle apparemment de désir pour l’intrigante dame brune. Cette bisexualité affichée n’est pas si surprenante à l’époque élisabéthaine où l’adolescent était volontiers considéré comme un être androgyne. Mais en faire le fil rouge de ses poèmes est osé. Les Sonnets de Shakespeare Illustration du peintre lituanien Stasis Krasaukas pour une édition de 1966 des Sonnets Difficile de faire le lien avec la vie intime de Shakespeare. On ignore en effet l’identité de ce duo d’amant et maîtresse. L’adresse des poèmes à un certain W. H. a permis aux historiens d’échafauder moult théories plus ou moins fumeuses en ce qui concerne le nom du garçon. Aucune dame brune n’a en revanche été débusquée dans son entourage… Ces serments d’amour ne sont peut-être après tout que des fantasmes ou une licence, l’esquisse d’un manifeste poétique amoureux. William confiné Reste la question intrigante de la publication tardive des sonnets 1609. Shakespeare les a probablement écrits beaucoup plus tôt. Un indice dans Peines d’amour perdues » 1594-1596, le personnage de Rosaline fait beaucoup penser à la Dark lady », souligne Jean-Michel Déprats. Selon le traducteur, la période d’écriture correspond probablement à l’épidémie de peste. Les théâtres étaient fermés… ». Shakespeare confiné se rabat sur la poésie… Etrange résonance avec aujourd’hui ! Si cette partie de son oeuvre a été éditée sur le tard, c’est peut-être parce que son auteur n’avait pas pensé à les publier, préférant les faire tourner parmi un groupe d’amis ou de protecteurs. Accaparé par le théâtre, il n’avait sans doute pas le temps de les mettre en forme » , suggère Anne-Marie Miller-Blaise. D’autant que ses pièces représentaient une activité bien plus lucrative. Un recueil de poésie était vendu une fois pour toutes à une librairie ». Conséquence, les Sonnets connaissent peu de succès de son vivant. Et quand on les redécouvrira après sa mort, ce sera surtout pour dénoncer leur caractère licencieux. Ce traitement particulier du désir, du temps, de l’éternité trouve encore un écho de nos jours. La langue des sonnets apparaît très moderne, proche de la nôtre Cette oeuvre si agile connaîtra finalement un éblouissant retournement de fortune. En particulier en France, deux siècles plus tard, quand les romantiques font du poète anglais leur barde » favori. Cette exaltation de l’amour, ce traitement particulier du désir, du temps, de l’éternité trouve encore un écho de nos jours. La langue des sonnets apparaît très moderne, proche de la nôtre » , explique Anne-Marie Miller-Blaise. Jean-Michel Déprats est du même avis Tous les états de l’amour y sont convoqués, à la façon de Roland Barthes. Les Sonnets nous proposent un parcours amoureux diversifié, souvent douloureux, plus rarement porté par la joie de la beauté et de la fidélité ». Ils évoquent aussi le temps qui nous est compté, le caractère éphémère des passions. Des thèmes éternels dans une langue sans âge… En témoignent les publications et les nouvelles traductions qui ne cessent de se multiplier en ce début de millénaire. Alexandrins blancs DES THEMES QUI TROUVENTENCORE UN ECHO DE NOSJOURS ET UNE LANGUE QUIAPPARAÎT TRES MODERNEPROCHE DE LA NÔTRE Le volume de La Pléiade offre justement en bonus une anthologie des meilleures traductions des sonnets en français depuis deux siècles. Chateaubriand, Francois-Victor Hugo, Yves Bonnefoy, Claude Neumann… quelque soixante auteurs et autant de visions différentes explorent tous les possibles d’une oeuvre inégalée. Quid de la version de Jean-Michel Déprats ? J’ai voulu éviter deux extrêmes un excès de formalisme, la recherche de la rime pour la rime qui dénature le sens des mots et du poème dans son ensemble. Ou à l’inverse une transposition dans une prose qui oublierait la poésie ». Aussi revendique-t-il un entre-deux » J’ai opté pour des alexandrins blancs sans rime en m’autorisant de rares écarts quelques décasyllabes et vers de quatorze syllabes quand j’y étais contraint ». Résultat, un beau travail équilibré qui préserve la magie de ces vignettes miraculeuses, respecte la musique des vers, en clarifiant au maximum le propos. Le traducteur reste humble Il y a tellement de polysémie, tenter une traduction parfaite est voué à l’échec. On ne peut pas rendre en français toute cette richesse. On ne peut faire entendre que deux ou trois sens sur six ou sept. C’est peut-être un avantage… car les Anglais, à vouloir tout saisir s’y perdent parfois » … Il faut en tout état de cause ne pas hésiter à consulter les notes de l’ouvrage qui permettent de contextualiser chaque sonnet données historiques, convictions de l’époque… Et pour en saisir toute la substantifique moelle, certains méritent d’être lus deux ou trois fois. Contre la violence sexuelle En contrepoint, La Pléiade a réuni les autres oeuvres poétiques de Shakespeare, dont les deux poèmes narratifs érotico-mythologiques Vénus et Adonis » 1593 et Le Viol de Lucrèce » 1594 traduits par Henri Suhamy. En apparence convenus, ils traitent avec audace du désir et de ses perversions Vénus prête à tout pour séduire Adonis, Tarquin qui franchit toutes les portes de l’abjection pour posséder Lucrèce. Moins retravaillés, fulgurants, ils frappent par leur côté poignant et leur incroyable ironie », affirme Anne-Marie Miller-Blaise. Le viol de Lucrèce », en particulier s’avère extralucide dans sa manière de démonter la violence sexuelle. Très proche d’un texte dramatique, le poème a l’envergure et la majesté d’une tragédie à la française ». Chrono-lithographie The Genius of Shakespeare », de 1888, le représentant devant ses plus célèbres pièces de théâtre .©Bridgeman Images ZOOM cliquer l’image Préfèrera-t-on toujours le Shakespeare dramaturge au Shakespeare poète ? Cette opposition n’a pas lieu d’être » assure Jean-Michel Déprats. Il y a autant de poésie dans son théâtre, que de théâtralité dans sa poésie. Des sonnets et diverses formes lyriques sont insérés dans ses pièces dans Périclès », La vie d’Henri V », La Tempête » Les chansons d’Ariel, Roméo et Juliette » le choeur et le premier échange entre les amants… » Quant aux Sonnets » eux-mêmes, ils ont autant vocation être dits à haute voix que lus ». Chantés même, parfois le metteur en scène américain Robert Wilson en a fait en 2010 un beau spectacle musical, sur une partition du ténor pop Rufus Wainwright. La messe est dite. Shakespeare in love » a révolutionné la poésie, comme le théâtre. Depuis quatre siècles, le poète amoureux fait battre les coeurs plus vite avec ses intrigants sonnets. Quel amante résisterai à l’appel du numéro 43 ? Tous mes jours sont des nuits tant que je ne te voie/et mes nuits des jours clairs quand je rêve de toi ». All days are nights to see till I see thee, /And nights brights days when dreams do show thee me » A lire Sonnets et autres poèmes OEuvres complètes, VIII. Edition publiée sous la direction de Jean-Michel Déprats et Gisèle Venet. Bibliothèque de La Pléiade, pages, 59euros. prix de lancement ; 1 professeure en littérature anglaise et histoire culturelle des XVIe et XVIIesiècles à Université Sorbonne nouvelle. CHRONOLOGIE POETIQUE 1593 publication à 29 ans du poème Venus et Adonis » 1594 Le viol de Lucrèce » 1594 -1995 Ecriture des pièces Le Songe d’une nuit d’été », fantasmagorie poétique s’il en est, et de Roméo et Juliette », avec ses accents tragiques et ses sonnets. 1599-1601 Hamlet », la pièce la plus intime de Shakespeare, sorte de manifeste mélancolique. 1609 Publication des Sonnets, probablement écrits dans les années 1590. 1610-11 La Tempête », chef-d’oeuvre féerique. 1611 Macbeth avec son atmosphère onirique et ses sorcières. Par Philippe Chevilley Crédit Les Echos, le 24 mars 2021 Shakespeare mon amour La première rencontre entre Roméo et Juliette se matérialise par un échange de mots qui devient un sonnet. Pour François-Victor Hugo qui ressuscita le théâtre shakespearien au 19ème, le sonnet est le langage même des amoureux. Comment Shakespeare construit-il l’amour dans et par la langue ? Shakespeare• Crédits CSA Images-Getty L’invitée du jour Anne-Marie Miller-Blaise, professeure en littérature et histoire culturelle britanniques des 16e-17e siècles à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, vice-présidente de la Société Française Shakespeare Le sonnet, langage de l’amour Shakespeare a écrit à une période où l’on considère le théâtre comme de la poésie… Mais il a un rapport différent peut-être à la poésie et ses enjeux, à la fois sur la scène et dans l’écriture de ses sonnets. La rencontre entre Roméo et Juliette se matérialise dans le texte de la pièce, à l’acte I scène 5, par un échange de mots qui devient un sonnet… Comme le dira plus tard François-Victor Hugo, tous les amoureux font des sonnets, c’est le langage même des amoureux. Anne-Marie Miller-Blaise Le sonnet, écriture de l’intime ? Penser que le sonnet est une écriture de l’intime est une idée qui surgit au 18ème siècle lorsqu’on commence à identifier le Shakespeare des sonnets comme un Shakespeare qui parlerait en son nom propre, et qu’on commence à voir les sonnets comme une trace autobiographique de l’auteur. Dès Pétrarque, le sonnet est une forme qui semble donner voix et corps à une douleur amoureuse ressentie au plus profond de soi même, mais il faut se garder de cette tentation il faut penser le sonnet comme partiellement biographique, peut-être, mais aussi comme une auto-fiction... Anne-Marie Miller-Blaise Textes lus par Denis Podalydès - William Shakespeare,Sonnets, Sonnet 18, Sonnet 20 et Sonnet 64, 1609, traduction de Jean-Michel Déprats, à paraître fin 2020, édition de la Pléiade, vol. VIII dernier volume des Œuvres complètes Sons diffusés - Extraits de Shakespeare in love, film de John Madden, 1998- Extrait de Roméo et Juliette, film de Franco Zeffirelli, 1968- Chanson de Rufus Wainwright, Take all my loves Sonnet 40 À RÉÉCOUTER SÉRIE William Shakespeare, 4 épisodes France Culture / La compagnie des auteurs Le même Shakespeare écrit Hamlet » et les Sonnets » PAR JEAN-MICHEL DÉPRATS LE 10 MARS 2021 … Entreprendre de retraduire une œuvre majeure, même cent fois traduite, et parfois avec éclat, n’exprime nullement une insatisfaction vis-à-vis des accomplissements antérieurs. La retraduction ne porte pas en soi une critique voilée des poètes traducteurs qui vous ont précédé. Comme l’écrit clairement Jacques Darras, lui-même par deux fois retraducteur récent desSonnetsde Shakespeare C’est le propre de l’œuvre accomplie, en musique comme en poésie, que de permettre une infinie quantité de lectures, de traductions. […] Sachant qu’il n’y en aura jamais de version définitive […] traduire lesSonnetsde Shakespeare, c’est toucher au principe d’insatisfaction » Il y a toujours place pour autre chose. Au tome I desŒuvres complètes de Shakespeare dans la Pléiade, un texte de réflexion sur les questions de traduction, intitulé Traduire Shakespeare » et sous-titré Pour une poétique théâtrale de la traduction shakespearienne », présente la problématique générale de la traduction théâtrale et explore les apories et les limites de la traduction en français moderne de l’anglais élisabéthain. J’y affirme la spécificité de la traduction destinée à la scène, entée sur la perception de ce que Patrice Pavis appelle le verbo-corps1 » et qui désigne l’inscription du souffle et de la gestualité dans la langue. À travers les rythmes, les assonances, les rimes intérieures, les effets allitératifs, les ruptures syntaxiques ou les coulées verbales, Shakespeare guide l’acteur dans son jeu, et il n’est aucun élément de son écriture dramatique qui soit sans conséquences pour l’interprétation d’un rôle. La question se pose donc d’emblée les caracérisiques de la traduction théâtrale, telle que je l’entends, la définis et la pratique, s’appliquent-elles à la traduction desSonnets ? Faut-il au contraire inventer une autre approche et esquisser une autre esthétique pour cerner et transmettre la spécificité de la forme lyrique ? Les lignes qui suivent ont pour seul objet d’aborder et de problématiser ces questions fondamentales. Elles s’attachent à décrire les options adoptées dans cette nouvelle traduction desSonnets, non à élaborer une théorie de la traduction poé- tique comme celle, convaincante et brillamment argumentée, que développe Yves Bonnefoy dans les pages qu’il consacre, au sujet des mêmes sonnets, à l’exposé de sa propre démarche. L’étroite imbrication du poétique et du théâtral dans l’œuvre de Shakespeare est manifeste. Nul ne songerait à dire que Shakespeare est moins poète dans ses pièces que dans sesSonnetset ses autres poèmes. De nombreuses formes lyriques sont insérées dans le tissu même des pièces, qu’il s’agisse, dansRoméo et Juliette, des sonnets que prononce le Chœur en guise de Prologue à la pièce, ou, au début de l’acte II, du sonnet, encore, que forment les répliques alternées des personnages éponymes lors de leur première rencontre ; ou bien, dansPériclès, des différentes interventions en octosyllabes de Gower, qui fait fonction de chœur. Dans l’intervalle la date de compo- sition deRoméo et Juliettese situe entre 1594 et 1596, et celle dePériclèsen 1608, la forme lyrique est choisie en particulier pour les somptueuses interventions du Prologue ou du Chœur dansLa Vie d’Henry V, et pour les chansons d’Ariel dansLa Tempêteou celles du Bouffon dansLa Nuit des n’ai cité que les exemples les plus manifestes et les plus étincelants. À l’inverse, il y a de la théâtralité dans lesSonnets. Le recueil de 1609 met plus ou moins en scène les différents moments d’une relation, voire, parfois, une intrigue ; au fil de la séquence s’installe un dialogisme entre deux entités qui peuvent être deux identités du poète, entre le poète et l’aimé, ou entre le poète et son amante. Bien que la lecture de poèmes à haute voix ne soit pas, ou ne soit plus, une pratique sociale courante en France — alors qu’elle fait partie de la célébration publique de la poésie en Grande-Bretagne, au Portugal et plus encore en Russie — je soulignerai ici l’importance de l’oralitéet même de lavocalitéde l’écriture poétique de Shakespeare dans ses créations lyriques tout autant que dans son œuvre dramatique. La figure du poète n’est pas scindée en deux le poète desSonnetset des deux grands poèmes mythologiques et érotiques d’une part, celui des créations dramatiques de l’autre. C’est le même Shakespeare qui écritHamletet lesSonnets. Un même rythme emporte et soutient les poèmes et les pièces de théâtre, où l’on entend et reconnaît une même voix. Pour le dire clairement, les sonnets de Shakespeare sont donc des textes àdireautant que des textes àlire. Il y a à cet égard des similitudes entre la traduction théâtrale et la traduction poétique. Dans l’un et l’autre cas, les mots sont des gestes, traduisant les pulsions de la pensée dans un phrasé lié au souffle. Incidemment, l’auteur desSonnetsfait une référence explicite au jeu de l’acteur au Sonnet 23, dont les premiers vers évoquent un acteur en scène hésitant sur ses vers, / que le trac paralyse et qui oublie son rôle ». Comme la traductionde théâtre, la traductionde poésie ne peut se contenter de donner à comprendre, elle doit aussi donner à entendre, et j’ajouterai, donner à voir à l’œil qui écoute » Claudel. À l’invar du traducteurde théâtre, le traducteur de poésie n’a qu’un guide dans le dédale des exigences multiples, souvent contradictoires, qui le tenaillent l’écoute d’une voix dont il cherche à trouver l’inflexion. Une voix, une diction, une respiration qui lui font préférer tel vocable, telle musique, tel ordre des mots. Ce travail sur la physique de la langue tente de relayer l’économie très particulière desSonnetset de recréer en français leur énergie phonatoire et vocale tout en respectant la contrainte de la concision. Il rêve, face à la forme fixe, deux options antithétiques qui divisent et opposent les traducteurs soit le respect sacré de toutes les caractéristiques formelles du poème, et en particulier du sonnet dans sa version dite shakespearienne » — sa régularité métrique mais aussi ses rimes et son schéma de rimes —, soit, à l’inverse, une écriture plus libre privilégiant d’autres éléments, comme la clarté du sémantisme et le suivi de la ligne narrative et dramatique. La lecture de nombreuses traductions desSonnetsmontre que les éléments majeurs de ces deux options, respect des caractéristiques formelles et suivi de la ligne narrative et dramatique, ne sont guère compatibles. Deux écueils symétriques sur lesquels nous allons revenir guettent en effet le traducteur qui adopte l’une ou l’autre approche de façon systématique. Il va de soi que ces options contraires ne sont pas les seules qui s’offrent aux traducteurs … La fascination exclusive de la forme, conçue comme seule incarnation respectable de la fidélité, fait courir le risque de la domination de la métrique et donc du primat de la versification ; elle éloigne le traducteur de la création poétique dans sa langue et dans son temps. Aujourd’hui surtout, alors que la poésie contemporaine ne pratique plus guère la rime, sauf avec des intentions parodiques. Contrairement à ce que l’on croit couramment, rien n’est plus facile ni plus dangereux pour un traducteur que d’écrire non pas de la poésie, mais des vers, de céder à ce qu’Henri Meschonnic appelle, avec l’acerbe et impi- toyable lucidité qui le caractérise, la comédie versificatoire ». On décèle à la simple écoute les mots qui ne sont là que pour la rime ou pour le mètre et auxquels rien ne correspond dans l’original. Il peut certes arriver que les rimes d’un sonnet de Shakespeare soient rhétoriques et de pure forme, voire qu’il s’agisse de simples rimes pour l’œil. Mais c’est extrêmement rare. Une traduction qui accorde la prédominance aux structures rimiques et métriques s’éloigne du suivi scrupuleux de la construction verbale et du parcours du sens. Elle conduit à privilégier la rhétorique, confond poésie et versification. Une telle démarche convient mieux sans doute à des œuvres marquées par un degré extrême de formalisation, comme les longs poèmes narratifs que sontVenus et AdonisetLe Viol de Lucrèce. Les traducteurs qui, à rebours, se méfient de l’embaumement qu’implique la prédominance de la forme courent quant à eux le risque ou assument le choix ? de transformer le poème en récit en prose, une prose au mieux cadencée ou rythmée. Une partie des traductions les plus récentes se méfient tellement des formes fixes et des vers réguliers — décasyllabes ou alexandrins — qu’elles conduisent à nier tout principe de récurrence et de structuration dans la création du poème. Une suite de lignes composées d’un nombre constamment variable de syllabes fait totalement oublier la forme du sonnet. Les réalisations qui en découlent donnent le sentiment que le traducteur n’a fait que la moitié du chemin, tenant pour négligeable le fait que la création poétique de Shakespeare apris formedans une construcion verbale codifiée qui canalise sans l’occulter le jaillissement de la pensée. Conscient de ces deux dangers opposés, j’ai, pour ma part, tenté un compromis ou une synthèse des deux approches en traduisant lesSonnetsde Shakespeare en alexandrins blancs, donc en vers non rimés, convaincu qu’assonances, allitérations, rimes intérieures, échos internes et rythme d’ensemble offrent une structuration plus discrète mais tout aussi efficace que celle des rimes. Les premières traductions des Sonnets de Shakespeare en alexandrins non rimés sont dues à Abel Doysié 1919 puis à Émile Le Brun 1927, suivis plus tardivement 1942 par Giraud d’Uccle pseudonyme de Léon Kochnitzky, puis avec brio par Henri Thomas 1961, et dans un passé plus récent par Robert Ellrodt 2002, 2007, envers qui j’exprime ici ma gratitude et mon admiration. Sa traduction est à ce jour la plus sûre du point de vue de l’exacitude et de la complexité du sens. Mon approche se différencie de la sienne en ce que je m’accorde plus de souplesse et de libertés dans l’ordonnancement du poème, incluant dans un souci de fluidité, au milieu des alexandrins blancs, des vers de quatorze syllabes quand le contenu informatif oblige à être plus long et des décasyllabes quand, à l’inverse — plus rarement —, ce mètre suffit à prendre en charge la totalité des dénotations et connotations. Puisque le ton et le style de l’énonciation sont délibérément plus modernes que dans les traductions en alexandrins classiques, j’ai également souvent recours à lacésure épique ; courante au Moyen Âge, réapparue avec les symbolistes et les modernistes, elle consiste à compter comme hexasyllabe un premier hémistiche se terminant soit par unemuet non suivi d’une voyelle, soit par unesuivi d’unsmarquant le pluriel, alors que dans l’alexandrin classique l’hémistiche n’est hexasyllabique que si leemuet est suivi d’une voyelle. Ainsi, dans ma traduction, le vers 1 du Sonnet 65 S’il n’eest bronze ni pierre, terre ou mer infinie », ou le vers 7 du Sonnet 78 Ont ajouté des plumes à l’aile des savants », hypermétriques 13 syllabes si l’on applique rigoureusement les règles de l’alexandrin classique, peuvent être considérés comme des alexandrins si, suivant la pratique orale, on a recours à lacésure épiquequi élide la syllabe finale des premiers hémistiches pierre » dans le Sonnet 65 ou plumes » dans le Sonnet 781.Cette variété métrique et la licence qu’ajoute la césure épique visent à éliminer les chevilles et à privilégier l’énonciation mimétique sans recourir à des artifices de pure forme. Henri Meschonnic invite à pourchasser aujourd’hui les poétismes », dont l’inversion sytématique et la négation simple un ne » non suivi d’un pas » ou d’un point » sont les manifestations les plus fréquentes. Sans ignorer que la diction poétique ne s’indexe pas sur le parler courant ou l’oralité naturelle, je crois plus proche de l’essence de la poésie de réduire artefacts et conventions désormais mortes, et je n’ai pour ma part aucune gêne à déclarer que j’ai obstinément recherché la clarté et la limpidité, activant constamment cette propriété inhérente à la traduction d’opérer quel que soit le dessein conscient du traducteur une forme d’exégèse et d’explicitation. Beaucoup de sonnets shakespeariens étant d’une grande complexité et d’une grande densité de pensée, ce souci de limpidité me semble plus à même de donner un écho convaincant du poème qu’une pratique faussement mallarméenne d’obscurité délibérée. Je n’entends personnellement pas la voix de Shakespeare dans ces versions françaises qui, confuses à la première lecture, le relèent à la deuxième ou à la troisième et qui semblent confondre obscurité et profondeur. Sur un point précis, j’ai, traduisant lesSonnets, infléchi ma pratique par rapport à mes principes de traduction des œuvres dramatiques celui du respect de l’alternance entre tutoiement et vouvoiement ou, pour être linguistiquement plus exa ?, de l’alternance entre leyouet lethoudans l’adresse à un interlocuteur en anglais n’est que de façon très globale et grossière que l’on peut assimiler l’alternance duyouet duthouen anglais élisabéthain à celle du vouvoiement et du tutoiement en français. Dans les œuvres dramatiques, l’essentiel est de marquer le passage duyouauthouà l’intérieur d’une scène, et parfois le retour auyouau cours de la même scène. Seul le passage duvo=autuet le retour éventuel auvo=peuvent marquer en français la modification du rapport entre deux personnages. Il ne me paraît guère démontrable que, dans lesSonnets, l’adresse au bien-aimé ou à l’amante parthouimplique un rapport plus intime et plus affectif que l’adresse paryou. Dans ces conditions, j’ai opté pour le tu » dans tous les cas de figure, le vouvoiement d’une amante ou d’un bien-aimé risquant de traduire une forme de snobisme et exprimant surtout en français la déférence et la distance sociale. Il est de fait que l’homme dont le poète est amoureux dans lesSonnets— qu’il se nommât Henry Wriothesley ou William Herbert, selon les conjectures les plus fréquentes — était un aristocrate, mais privilégier le vous » dans ces poèmes d’amour conduit, me semble-t-il, à renoncer à l’expression du sentiment d’intense attachement affectif dont ils témoignent. C’est assurément un choix discutable, mais je le revendique parce qu’il me semble un adjuvant précieux dans la recherche d’une proximité avec le lecteur …. Jean-Michel Déprats Extraits du texte de Jean-Michel Déprats Traduire les Sonnets » dans le volume Sonnets et autres poèmes qui vient de paraitre sous sa direction et celle de Gisèle Venet dans le Tome VIII des Oeuvres complètes de Shakespeare, Bibliothèque de la Pléiade Jean-Michel Déprats » et Rare portrait considéré comme authentique de William Shakespeare , vers 1610, attribué à John Taylor et dit le Chandos » pour avoir appartenu à Lord Chandos » photos Crédit
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qu implique le tutoiement dans une relation